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« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985
en divers périodiques ou catalogues
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel ALOCCO parus de 1965 à 1985,
en divers périodiques ou catalogues,
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
1.
Signer au dos le ciel
Les artistes de l’Ecole de Nice ont refusé de s’enfermer
dans la prison multicolore de la seule peinture tout en repoussant la définition
du volume sculptural traditionnel. De même l’écrivain que
son langage contraint à une pensée plane souvent envie le musicien
qui occupe l’espace sonore et un jour ou l’autre se plaît à imaginer
une expression libérée de cette platitude physique paralysante :
un trombone fuit vers le sol, y rebondit comme une balle de caoutchouc, tandis
qu’une clarinette lance, vers le ciel, une courbe volubile, ondule, suspendue,
rejoint avec la chute d’un oiseau de proie le trombone hésitant,
unit ç lui, en guide l’ascension avant de narquoise par jeu de
suivre qui tâtonne et s’asphyxie parvenu à l’altitude
où l’air pour lui se raréfie. Un rêve de liberté plus
complète encore est à l’origine de l’Ecole de Nice : « Cette
sensation de liberté totale de l’espace pur exerçait sur
moi un tel pouvoir d’attraction que je peignais des surfaces monochromes
pour voir, de mes yeux voir, ce que l’absolu avait de visible » écrivait
Yves Klein.(1) ; et ailleurs « Adolescent, je suis allé signer
mon nom au dos du ciel dans un fantastique voyage réalistico-imaginaire
un jour où j’étais allongé sur une page à Nice… » (2).
Le refus du langage sans relief, du « bien léché » exécré,
conduit à la solution que concrétise le monochrome, par ses préalables
(empreintes, cachets) où l’objet d’abord médium est
utilisé en lui-même quand l’artiste aboutit à une
variante comme pour Arman les « accumulations » dans
lesquelles « le côté obsessionnel et profératoire
de la multiplicité d’un objet le rend pareil à une granulation
unie » (3) Cependant c’est avec l’objet, ainsi que le
dit Pierre Restany, « l’introduction d’un relais sociologique
au stade essentiel de la communication ». (4)
Yves Klein ne se donnait aucun modèle, expliquant au contraire chacune
des étapes de son œuvre par une réflexion sur l’entourage.
Les artistes de l’Ecole de Nice gardent un comportement identique ;
lorsqu’ils consentent à citer des références d’ordre
culturel, les œuvres sont éclipsées par l’attitude
qu’elles signifient : Kurt Schwitters, Picabia, Max Ernst, Marcel
Duchamp, John Cage, George Brecht, etc…. – ou Dejean(1780-1845) (5) :
le Dadaïsme et le Surréalisme ont ouvert la voie ; l’esprit
des bazars se joint à celui des marchés de produits standards
son contraire et marque le mouvement, avec pour conséquence, en général,
l’usage dans l’œuvre d’un matériau qui n’est
pas spécifiquement pictural : c’est ainsi que sur l’apparence
de l’œuvre on associe par exemple Arman au polyester, Raysse au
néon, Gilli au contre-plaqué, Venet au carton ou aux feuilles
en matière plastique colorée. Ben Vautier attribue une grande
importance, par l’influence exercée, aux textes théoriques
d’Isidore Isou. Une comparaison fragmentaire semblerait indiquer que
la pensée d’Yves Klein reçut d’Isidore Isou une impulsion
décisive ; mais sans compter que les œuvres procèdent
d’esprits totalement différents et ne possèdent aucune
signification similaire, l’habileté du maître du Lettrisme à jongler
avec dates ne peut permettre de se prononcer, ni même d’écarter
l’hypothèse d’une influence inverse de Klein sur les textes
de Isou postérieurs à leur rencontre. On peut cependant accorder,
en ce qui concerne la « Nouvelle Ecole de Nice » selon
B.Vautier, que toute personne se rattachant au « Centre de Recherche » a
une fois, par curiosité, composé un poème lettriste. Ainsi
des documents attestent (6) l’intérêt, vers 1960, de Le
Clézio pour la Synpoésie (7). Toutefois, pour aucun d’entre
eux il ne s’agit là d’une expérience exclusive et
marquante.
Bien que cultivés sur des modes et à des degrés divers
(Ecole du Louvre pour Arman, Faculté des Lettres pour Raysse etc…)
les membres de l’Ecole de Nice revendiquent une réceptivité plus
grande aux expériences du vécu qu’aux apports de la culture.
Tous admettent l’influence de Yves Klein, quelques-uns citent Kurt Schwitters,
mais les véritables maîtres de l’Ecole de Nice semblent être
les Uniprix, Harper’s Bazaar, les miniatures industrialisées du
Japon (M.Raysse) les surprises annuelles du concours Lépine (Arman) « Sheila
(qui) chante à la radio Ecoute ce disque » (8) (Vautier)
Les chaises –longues et le coca-cola (Venet) la mer et les géraniums
rouges (Gilli) le cinéma, la « vie normale » (Malaval)
et aussi les facteurs et les concierges par lesquels mettant l’accent
sur le vécu aux dépens de la formation culturelle (9), Le Clézio
rejoint les peintres dans leur conception « d’un art qui se
veut acte de comportement » (10). Ainsi se manifeste par les sources
un commun sens du « all-over », du « Tout
Total ». Récipiendaires sans limites, les œuvres paraissent
donc refuser le témoignage. Mais au contraire, par la mise en évidence,
par l’excès dérisoire de l’accueil (formes qui ne
vont pas sans humour) s’exprime un refus contradictoire avec la nécessité de
ne pas se laisser « mettre à part » qu’exige
l’ambition d’assumer la totalité. Au monde imposé il
est répondu par le zèle – il est pris en charge plus que
de raison : « l’objet choisi ne l’est pas en fonction
de critères dada ou surréaliste ; il ne s’agit pas
là de décontexter un objet de son substrat utilitaire, industriel
ou autre (…) il est question bien au contraire de le recontexter en
lui-même dans une surface sensibilisée x fois par la présence
duplicatée ; rappelons la phrase historique : mille mètres
carrés de bleu sont plus bleus qu’un mètre carré de
bleu, je dis donc que « mille compte-gouttes sont plus compte-gouttes qu’un
seul compte-gouttes » (3). La multiplication, en même temps
que l’évidence prononce le refus. On retrouve dans les « vitrines » de
Raysse cet antagonisme livré à l’état brut dans
les « accumulations » d’Arman. Dans le même
esprit, le nouveau-réaliste César porte à l’absolu
l’accident par ses « compressions » de voitures.
Gilli fige les objets en découpant leurs silhouettes dans du contre-plaqué,
tandis que « l’aliment blanc » de Malaval envahit,
recouvre, paralyse.
L’Ecole de Nice, pour l’Histoire, C’est d’abord Yves
Klein (11) l’insurrection d’un jeune homme contre le silence pictural
qu’essaie en vain d’emplir l’anecdote des peintres-à-touristes
locaux. Il faudra un jour se pencher plus attentivement sur cette vie active
et brève assez originale pour entraîner un trio dans une aventure
extrême. Yves Klein, Martial Raysse et Arman l’accompagnant, par à la
conquête de l’art et du monde. De Nice, rien à attendre,
ils le savent. Il n’y a pas de miracle, le désert n’est
pas de lui-même fécond. C’est contre le désert et
stimulé par quelques exemples extérieurs que le projet naît
et prend consistance.À Paris, avec le critique Pierre Restany se réunissent
Arman, César, Dufrêne, Hains, Klein, Raysse, Rotella, Spoerri,
Tinguely, Villeglé, auxquels se joindront Niki de Saint-Phalle, Deschamps
et Christo. Le jour même de la constitution officielle du groupe sous
l’étiquette Nouveau-Réalisme (27 octobre 1960) les trois
niçois prennent leurs distances spirituelles par rapport à ce
mouvement en rédigeant un texte commun manifestant leurs particularités.
Cependant les affinités sont assez profondes pour que le groupe persiste. À Nice,
Ben Vautier, Robert Malaval et Paul-Armand Gette entreprenaient dans un
esprit voisin des œuvres divergentes. Avec des moyens différents,
Jean-jacques Condom, Claude Gilli, et Bernar Venet suivaient ces voies pour
eux devenues exemplaires.
Nous étions trois, nous voici dix, nous serons trois cents dans dix
ans » écrit M.Raysse. Aujourd’hui, à Anvers, à Milan, à Londres, à Hambourg,
L’Ecole de Nice s’est imposée, et à Paris. ;
tandis que Nice s’attarde aux produits d’importations d’une
avant-garde 1900. Ces peintres, qui reviennent régulièrement
vivre et travailler dans leur ville natale lorsqu’ils n’y sont
pas domiciliés, éprouvent pour elle, on le comprend, un amour
très mêlé d’amertume.
Par quel inexplicable phénomène une telle cohésion dans
le domaine des « arts plastiques » aurait-elle pu naître sans
un courant de pensée qui n’ait eu aucun écho dans le domaine
littéraire ? Depuis des années le « Centre de
Recherche » de B.Vautier (Sa boutique et son domicile-bibliothèque-discothèque-musée
d’art vivant) est un foyer de diffusion des idées et de création :
là parviennent de tous les points du monde et se distribuent les informations,
textes, œuvres des divers mouvements d’avant-garde ; à l’occasion
d’un passage à Nice, les représentant de ces mouvements
ne manquent jamais de s’y présenter. Mais orienté vers
le théâtre expérimental et la poésie, cette école
littéraire n’a pas trouvé de débouché vers
un grand public (12). Créer dans l’une des plus grandes salles
niçoises, devant seulement une centaine de personnes, une œuvre
comme « Piège à ma souris » (13° pouvait
faire renoncer son auteur (André Riquier) soucieux d’efficacité à continuer
dans cette voie. Le « Théâtre Total » de
B.Vautier se manifeste à Nice devant un public parfois aussi réduit,
mais défend ses œuvres à Paris (Festival de la libre expression) à New
York (Festival Fluxus) à Amsterdam (parallèlement à une
exposition galerie Amstel). La multiplicité des modes d’expression
et des manifestations permet dans une certaine mesure d’atteindre un
public plus nombreux. On retrouve encore le souci d’efficacité sur
lequel Robert Malaval attire justement l’attention. Pourtant la poésie, évidemment
(14), garde une diffusion relativement restreinte.
En dépit de certaines réserves formulées par des artistes
conscients de la singularité de chacun des œuvres, rarement un
groupe semble avoir entretenu entre les personnes une pareille cohésion,
des rapports de travail et d’amitié aussi constants, révélateurs
d’affinités profondes. « La galerie de la plage » que
viennent d’achever en collaboration Claude Gilli et Robert Malaval en
est une confirmation.Il s’agit d’une vitrine dans laquelle sont
accrochées des œuvres caractéristiques du Nouveau-Réalisme,
copies en contreplaqué exécutées par Gilli d’un
Fontana, (spatialiste) d’un Jim Dine (Pop-Art) et d’un Arman, voisinant
avec un Malaval authentique duquel sourd une coulée « d’aliment
blanc » (polyester) qui parvient jusqu’au sol après
que la glace ait cédé sous la pression.
Ben Vautier, parallèlement à une œuvre trop polymorphe
pour être aisément décrite, fait un travail de théoricien
(15) rigoureux et puriste : il accuse aujourd’hui ses compagnons
d’avoir trahi la leçon d’Yves Klein, en s’éloignant
au profit d’un certain esthétisme de l’aspiration à l’absolu
vers lequel tendait son œuvre. Mais les oeuvres n’ont jamais respecté les
théories, surtout celles des autres, et une position de rupture comme
celle où se plaçait Klein et ses amis ne peut être longtemps
conservée sans devenir un rite stérile : leurs œuvres
se continuent aujourd’hui par une évolution normale – quoique,
dans ses formes, imprévisible– sur des fondements conquis.
Il est bon sans doute, pour la vie d’un courant d’esprit, qu’il
s’y manifeste intérieurement certains désaccords partiels
sur lesquels il s’éprouve et qui indiquent sa vitalité conservée.
Septembre 1965
(Paru dans la revue Identités n°11/12, été-automne
1965.)
1.Dans « Le dépassement de la problématique de l’art » (Ed.
Montbliart. La Louvière, Belgique)1959 ( ?).
2. Zéro. Vol 3, 1960.
3. Arman, dans Zéro Vol. 3.
4. Pierre Restany. Catalogue Galleria Apollinaire. Milano. Mai 1960.
5. « Certains calligrammes d’Apollinaire/ Ginsberg le Transsibérien/
Frankenstein, Zorro voilà / ce que j’aime. » (Une
lettre de Ben. Poème. Revues « Dire » n°3
et « Identités » n°7.
6. Revue O (comme eau) que polycopiait B. Vautier. Divers manuscrits.
7. Cf. « Introduction à une nouvelle poésie et à une
nouvelle musique ». Isidore Isou (Lib Gallimard . 1947)
8. « Vers la fin cela devient cochon » (Poème)
dans Identités n°10.
9. « Lorsqu’on a conscience qu’on en vit pas modernement
dans un monde moderne, on a l’impression qu’on ne vit pas du tout.
Enfin, la culture d’une manière générale, tout ce
qui est écrit, tout ce qui est respecté comme étant beau,
tout cela devient quelque chose de laid, de gâché…
On a l’impression de toute une pourriture qui vous empêche de respirer » (Interview.
Lettres Française n° 1040. Juillet 1964)
10. Pierre Restany. Catalogue M. Raysse. Dwan Gallery. Los Angeles.
11. Yves Klein : Nice le 28 avril 1928– 1962.
12. On pourrait citer une vingtaine de noms composant ce que Ben Vautier appelle
Nouvelle Ecole de Nice. Il est évident que des personnalités
significatives de l’esprit d’un mouvement, participant à une
ambiance de création, peuvent être d’un médiocre
intérêt comme créateurs : C’est le cas, presque
toujours, de la majorité.
13. 19 juillet 1964, au Nouveau Casino, par le Théâtre de Forme
et d’Essai, depuis devenu Théâtre Populaire de Nice.
14. On sait qu’il s’agit d’un fait qui, en France au moins,
caractérise actuellement ce mode d’expression.
15. Revue « Tout », et « Partie du Tout à Ben »,
chapitre de l’esthétique. Chez l’auteur, 16 bd Caravadossi,
Nice. |