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« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985
en divers périodiques ou catalogues
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
21/ 22/ 23.
Entretiens Monticelli / Alocco
(Eté 1975 et été 1976)
Extraits publiés en trois occasions + fragments inédits,
Ensemble restitué dans l’ordre chronologique des propos.
–Les passages en italiques sont inédits–
Raphaël Monticelli :
Entrons directement dans le vif du sujet. La première question
que j’aimerais te poser est simplement : « Quelle
fonction attribues-tu, sinon à la peinture, du moins à ta peinture ? »
Marcel Alocco :
Tu te souviens peut-être ce que j ‘écrivais
en 1972 à tes élèves qui me demandaient, entre autres, à quoi
l’art est utile, quelle est ta place dans notre société,
celle de l’artiste…etc ? Voici le polycopié de
cette enquête. Je lis, ici par exemple : « L’art
serait donc à la recherche de sa fonction. Il s’auto-questionne ».
Je vois bien que j’étais optimiste et que cette attitude
n’est juste qu’appliquée à une infime fraction
des peintres dits « d’avant-garde ». Je disais
aussi : « Cette position angoissante fait que quelques
uns prévoient pour bientôt la mort de l’art au bénéfice
d’une activité collective de création sociale, ce
qui est, à mon avis, mythique et fondée sur une vision
faussée de certaines activités artistiques dans les sociétés
antérieures. Je serais tenté de penser que l’art
marque actuellement une crise des valeurs ; il traduit une situation
dans laquelle nous savons assez bien ce que nous ne voulons pas, et assez
mal ce qui , parmi l’acceptable, est possible et compatible. »
Dans mon atelier je me contente aujourd’hui, par mon travail,
d’accuser, comme on accuse un coup, une situation. A défaut
d’un dogmatisme-fauteuil, je vois mal comment embrayer mon activité picturale.
Il y a cette contradiction, à montrer, je le dis dans le texte de
mon catalogue « Patchwork », entre ce qui est juxtaposé dans
la diversité d’origines historiques et géographiques,
et l’unicité qui est dite, et que je ne parviens pas… disons « à vivre ».
Je ne voudrais pas non plus être aveuglé par mon savoir ;
je me refuse par exemple de partir de la signification actuellement donnée à certains
effets picturaux (telle couleur, tel geste..) pour accepter de les faire
entrer dans mon travail, ou pas. L’objectif qui est, dit fort schématiquement,
d’obtenir à partir « d’images » un
tissu sans orientation, tissu de couleurs qui manifeste la séparation
autant que l’unité, fixe les nécessités. Je
déchire le tissu, le recouds à gros fil, gros points, donc à la
main ; je soupçonne bien quelles en sont les interprétations
possibles. Ce qui m’importe, c’est que ces actes soient le
passage nécessaire pour que se constitue ce tissu de couleurs,
dispersé mais unique et continu : un seul « Patchwork ».
Entre l’analyse du projet et celle du travail fait, il y a un passage à l’acte
qui engage une telle complexité qu’il est forcément,
sauf scientisme simpliste et naïf, perçu comme empirique :
disons que je préfère ce saut dans et dessus le vide au
simulacre qui consiste à dire pour cause d’analyse d’effets
picturaux prémédités, ce qui engage dans mon activité,
faussement impulsive puisqu’on ne peut alors aboutir que là où on
a déjà été…
Si je n’ai pas répondu à ta question – ou
mal, en dérivation– c’est qu’on ne répond
finalement qu’à ses propres questions – plus justement à celles
que l’on parvient à se poser. Ceci dit, je suppose, à ta
façon de formuler l’ouverture de cet entretien qu’il
t’est possible d’avancer un peu plus sur ce terrain…
R.M. :
Oui. J’ai peut-être démarré un peu sec… Enfin,
ce que tu viens de me dire va sans doute m’aider à mieux
poser mon problème.
Avant tout, j’aime à t’entendre affirmer – reprends-moi
si je fais erreur sur tes propos – qu’un peintre n’est
pas – comme tel– autorisé à répondre à cette
question ; que la fonction de la peinture ne dépend pas de
la conscience que le peintre en a. C’est déjà dans
ce sens que tu avais répondu à mes élèves,
les renvoyant aux sociologues ou aux historiens. La différence,
c’est que tu me renvoies à moi. Mais, vois-tu, si je t’ai
posé cette question ce n’est pas parce que je voulais y
répondre, mais parce qu’il me semble que c’est là une
question qu’il faut poser et que – à ma connaissance – elle
est toujours moins posée – et n’a toujours pas obtenu
de réponse satisfaisante.
Apparemment cette question en appelle une autre. Quelle peinture ?
Et dans les réponses aux questions de mes élèves
quelqu’un avait dit « pour quelle société ? ».
Il faut avouer que c’est là une façon de voir assez
séduisante. En somme, on veut dire ; « Il n’y
a pas une fonction de la peinture, mais une fonction d’une peinture
déterminée dans l’histoire ». C’est
séduisant parce que ça semble s’échapper des
prisons de l’éternité, de l’essence, du Beau… Parce
que ça tourne le dos à des valeurs en crise. Dans les milieux
cultivés où j’ai été amené à fréquenter ça
avait en plus un petit air de gauche qui vous donne l’allure d’un
Lénine de salons artistiques. Et la petite bourgeoisie qui se
mêle d’art a des démangeaisons révolutionnaires,
elle se prétend volontiers matérialiste. Sans compter qu’elle
a appris, ma petite bourgeoisie, que l’histoire est mise en mouvement
par la lutte des classes. Alors elle a écrit que la peinture peut être
l’un de instruments de domination d’une classe sur l’autre.
Elle, comme elle savait, ma petite bourgeoisie picturale s’est
cru capable de faire une peinture qui aille dans le sens de la classe
ouvrière. Ma petite bourgeoisie ultra-révolutionnaire travaille
sa peinture pour que l’aurore soit rouge…
Elle a les idées claires et nettes, et la conscience tranquille… elle
est l’avant-garde ! La peinture a une fonction idéologique
de répression, sauf la sienne, bien entendu, qui est subversive
et libératrice. Nos cher révolutionnaires de la peinture
peuvent bien s’attacher l’historicisme le moins opératoire.
Car vois-tu les réponses : »la fonction de
la peinture varie selon les sociétés – elle est historiquement
déterminée– La peinture féodale n’a
pas la même fonction que la peinture bourgeoise ou que la peinture
prolétarienne – ces réponses là ne satisfont
pas le Boétien que je suis sans doute. Parce que je ne suis pas
marxiste ou parce que j’essaie de le devenir ?
Dire que la peinture change de fonction selon l’état
de la lutte des classes, c’est partiel – et sans doute partiellement
vrai– sauf que ce n’est pas la fonction qui me paraît
varier ; mais disons, ceux pour qui cette fonction existe, pour
qui la peinture fonctionne, ceux à qui d’une manière
ou d’une autre elle doit servir. Mais que je crois que les formes
disposées sur ma pirogue permettent la flottaison, ou que l’animal
peint aujourd’hui rituellement je tue assure le bon huer de ma
chasse demain ne change rien non plus à ce que la peinture s’apprend
ce pour quoi en réalité j’ai peint, que je le veuille
ou non. Je peux toujours croire aussi que là est représentée
la Foi flanquée de la charité et que ces vertus sont bonnes
et que je dois m’y conformer ; ça ne m’empêche
pas– que je le veuille ou non, de prendre là la mesure
d’un savoir, de me heurter à l’espace construit, à l’apparence
calculée, à la couleur maîtrisée, au bonheur,
peut-être, éprouvé de voir là un objet né du
rapport entre un peintre, son savoir, ses techniques, son habileté,
sa sensibilité, avec un matériau, support, outils, avec
et dans une histoire. Je ne saurai peut-être pas dire « j’aime » ou « c’est
beau ». La question ne se posera peut-être pas mais
je me serai étendu de toute l’étendu de l’objet,
j ‘aurai eu là une expérience supplémentaire – et
irremplaçable- de l’espace, du matériau, de la couleur…
Tu comprends, quand on me dit qu’en somme l’art est le
résultat de la lutte des classes, cette restriction – ce
contresens– m’a fait penser à d’autres… L’histoire
aussi, la science aussi… On a l’impression qu’en luttant
pour que cesse un jour la lutte des classes, par la suppression de la
classe dominante, pour le socialisme et le communisme, on lutte pour
un mode apocalyptique, figé, pétrifié – sans
histoire, sans art, sans… Le mythe de l’âge d’or
n’a pas fini de nous poursuivre.
Alors j’aimerais distinguer la fonction de la peinture, ce
qui lui appartient en propre et qui en fait une activité irremplaçable
dans la structuration de l’intelligence et la constitution du savoir,
de mon rôle en tant qu’institution dans une société.
Loin d’âtre mécaniquement le pur produit d’une
classe, elle me paraît l’un des terrains où, dans
les sociétés de classes, se développe cette lutte
dont elle devient l’un des enjeux.
Nous pourrons y revenir… Mais une deuxième idée
de ta réponse concerne ton travail : j’en retiens deux
indications qui me paraissent importantes et dont j’aimerais
tirer une question ; la première concerne les exigences du
travail… en somme, il semble – et beaucoup de peintres
donnent cette impression – que le peintre se sente (et sans
doute est) bien moins libre de faire ce qu’il fait, qu’il
y a nécessité à respecter des procédures
auxquelles il faut se soumettre. La deuxième concerne le « but » plastique à atteindre.
Tu dis : « Ce qui m’importe c’est que les
actes soient le passage nécessaire pour que se constitue ce tissu
de couleurs, dispersé mais unique et continu : un seul Patchwork. » Ce
qui devient cause, n’est-ce pas alors l’œuvre à constituer,
le « patchwork » pré-vu, fut-ce dans le
relatif hasard de la disposition des rectangles et ne mérites-tu
pas le même reproche que celui que tu adressais au simulacre ?
A quoi est soumis l’ordre de tes opérations, le choix
des outils, la déchirure et la couture… ? Est-ce vraiment à cette
constitution du tissu de couleur, le « Patchwork » ?
21.
Deuxième entretien
Patchwork
(Publié dans le magazine N.D.L.R n°1, 1976)
Marcel Alocco :
Bien, je vais tenter de reprendre dans l’ordre.
Un peintre est-il autorisé à répondre à la
question de sa fonction ? Il est certain que si je ne choisis pas
la fonction qui est la mienne, si comme peintre « fonctionnant » je
ne suis – quoique témoignant– pas forcément
le mieux placé pour analyser ma fonction, je ne suis pas non plus
le chien mort traînant au fil de l’eau. Je pense souvent
que je suis comme un gros poisson batailleur qu’un pêcheur,
hors de ma vue, a ferré : position fort inconfortable – mais
tant que je n’aurai pas été tiré hors de l’eau
la partie n’est pas jouée. Le défaut de cette image,
c’est que le poisson n’est pas « je »,
mais « nous ». «Je » n’est
pas un autre, il est « avec les autres ». « Je » est
partie prenante, mais forcément la partie décisive… Mon
impression est que je suis une pièce du « Patchwork » toujours
continu, mais jamais identique, en apparence au moins, une pièce
pas indispensable peut-être, mais pas inutile non plus. Tu m’excuseras
de m’exprimer ici en « images » et en « impressions »,
ce qui en ces temps de théories terrorisantes peut passer pour
de la légèreté, mais je crains avant tout, ici comme
dans mon activité en général, de tomber dans l’une
de ces assurances dogmatiques qui stérilisent, et dont sont victimes,
selon moi, la presque totalité des jeunes peintres actuellement
sur le devant de la scène ; fascinés par l’effet
pictural posé en but ou, autrement dit, englués dans leur « image
de marque »… Ce qui ne signifie d’ailleurs pas,
entre parenthèses, que ces travaux soient tous automatiquement
sans intérêt : il arrive aussi que le poisson se débatte.
Il faut bien distinguer ici ce que j’appelle un « effet
plastique », qui est le résultat, du « Patchwork »,
lequel est un projet toujours en cours de constitution en même
temps que de construction.
Le projet de « Patchwork » présuppose bien
un ensemble de processus, et même une chronologie des actes :
par exemple, premièrement peindre, deuxièmement déchirer,
mélanger, puis remettre les morceaux bord à bord, et pour
finir coudre… parce que le « Patchwork » donne
pour seul acquis qu’il s’agit d’un travail en morceaux… La
multitude des éléments simultanément en jeu à divers
niveaux à chaque étape rend impossible la prévision.
Chacun des temps du travail pourrait bien poser un « effet
plastique » s’il est isolé et arrêté – pris
en soi – mais tous vont dans le processus engagé se
trouver « remis en jeu » par une sorte de
combinatoire, chaque étape revenant sur les précédentes
dont elle est issue, ce qui rend le résultat imprévu ;
d’ailleurs je le fais « pour voir ». Des
premiers travaux préparatoires, vers la fin 1973 ? à la
mise en cours vers avril 1974, et jusqu ‘à ce jour,
on peut reconnaître un processus, mais les effets sont eux extrêmement
divers.
La dernière question que tu me posais était de
savoir si ma démarche est vraiment soumise à la constitution
de ce tissu continu… J’ai répondu oui, et j’ai aussi
répondu non. Alors ?
Je crois qu’on commence à avoir une vue de la question
quand on est conscient de tout ce qu’on ne sait pas à son
sujet : ma culture aujourd’hui est suffisamment « grosse » – j’emploie à dessein
ce mot apparemment impropre… je ne pense pas être d’une « grande » culture…)
suffisamment grosse , donc, ma culture, pour m’ouvrir une vue plongeante sur
l’abîme de mon ignorance… Sur quoi je peux dire, avec le
manque d’humour habituel, que j’admire ceux qui nous assènent
des vérités définitives sur ce qu’est et doit être
la peinture, et bien d’autres choses… Ce qui me frappe depuis
le début de cet entretien, c’est l’imprudence des sujets
abordés et la relative, et nécessaire je crois, prudence avec
laquelle nous les abordons. Je réponds donc oui-non, car pour analyser
une pratique il faut délimiter un corpus, adopter ou forger des concepts
opératoires, souvent spécifique au champ de la pratique envisagée – mais
dans mon travail je ne me coupe pas en morceaux : confondre le corpus
soumis à l’analyse avec le champ de la pratique c’est assimiler le
concept à l’objet, et poser l’effet, pré-déterminé,
comme cause. Ceci me semble aujourd’hui l’attitude commune ;
d’où ma prudence – prudence qu’on a pu me reprocher… Mais
j’y reviendrai.
Je veux bien, par exemple, qu’on parle d’ « économie libidinale » et
tous les développements en ce sens qu’on pratique actuellement à propos
de la peinture. Outre que « la peinture » me paraît
moins « économique » que faire l’amour (si
je peu me permettre de faire jouer les mots !) – c’est
un bien long et, pour beaucoup, fastidieux détour, la peinture – cela
peut, disons à la rigueur excuser l’existence de la peinture,
ou… comment dire ?... la fonder en droit ? mais n’explique pas – est
insuffisante à expliquer – telle peinture et pas une autre.
Toutes ces réponses parlées ne me satisfont pas, ou alors, elles
me dispenseraient du « faire » .
Raphaël Monticelli :
J’ai remarqué que l’image par laquelle tu décris
ta situation te permettais de justifier sinon expliquer, non seulement
que tu fasses de la peinture, mais aussi cette peinture. Sans préjuger
de ce qu’une méthode solide et assurée pourrait nous
apprendre, je serais curieux de savoir si tu as le sentiment, en portant
des images sur une toile que tu lacères…
M.A :
Non ! que je déchire…
R.M. :
Oui, que tu déchires… pour la recoudre en désordre,
si tu as le sentiment donc, de procéder à une espèce
de contre-attaque rituelle – tu vois pourquoi j’ai glissé sur « lacérer » – ou
si tu te bornes, excuses-moi si l’idée te paraît naïve, à présenter
l’image éparpillée d’une culture que tu admets,
mais dans laquelle tu te sens mal à l’aise ?
M.A. :
Est-ce que j’ai le choix ? Mon problème n’est
pas d’admettre ou ne pas admettre cette culture ; elle est
le seul matériau que je possède. Ce n’est donc pas
pour moi tant une question de « valeurs » que « d’exposition »,
si j’ose dire… Il y a ce qu’on dit d’un côté,
ce que l’on donne de l’autre, qui ne me paraissent pas aller
dans le même sens : un discours unitaire et des bouts d’objets
culturels… Une illusion qui recouvre un fonctionnement autre.
Le « Patchwork » est ce fonctionnement, ce tissu
d’incohérences, de contradiction, qui agit sous couleurs
d’un bel ensemble sans problèmes, où chaque chose
serait à sa place. Non que tout ne soit pas en effet, d’une
certaine manière, à sa place ! Mais ce qui est vu,
ce qui est dit n’est pas ce qui fonctionne. La « femme
de Matisse » a les pieds du cheval de Lascaux, mais il est
convenable de lui trouver les orteils mignons. Si tu veux, le « Patchwork » prend
le discours littéralement, il prend au mot, et découvre
ainsi un écart… Tu parlais de « contre-attaque
rituelle ». Tu sais que j’affectionne le mot « aussi ».
Alors je dirai qu’il doit y avoir aussi une part magique… j’ai
toujours pensé – et c’est pourquoi mes écrits
s’intitulent volontiers « commentaires »– que
sous couvert de théorie, le discours des peintres est toujours
et principalement fantasmatique ; je n’en nie d’ailleurs
pas l’utilité, ne serait-ce que pour s’assurer à soi-même,
sur soi-même, une vue cohérente, cohérence qui probablement
n’est pas là où je (le peintre) la situe, mais plus… fondatrice
peut-être ? Oui, les images sont le matériau de mon
travail parce qu’elles sont moins illusoires que ce discours. Mais
tout s’intrique, et il faut remonter loin, vers 1965-1966… ou
parler de convergences d’intérêt : j’ai
peut-être, aussi, éta conduit au « Patchwork » par
le soucis de faire revenir les restes ou déchets dans
le tout. Ou plutôt, sans doute, par le refus d’admettre
que dans mon travail il y ait un « tout » et des « restes »… Déjà au
temps de l’Idéogrammaire, de 1966 à 1968, j’avais
recueilli dans un bocal les allumettes dont j’usais comme de fins
pinceaux, conserve d’allumettes aux couleurs. Mais ce n’est
pas un hasard si cette attention aux « restes »,
je préfèrerais dire « ce-qui-se-passe-à-côté »,
se concrétise en mars 1974 par une exposition que j’avais
depuis au moins deux ans proposée à Ben, « La
Peinture déborde » et cela alors que j’avais
depuis quelques mois entrepris de petites études préparatoires
(30 cm x30 cm) sur le « Patchwork ». Il ne s’agissait
pas dans cette exposition « La peinture déborde » de
nier qu’il y ait des restes, mais de regarder ces restes comme
de la peinture et de les porter aux regards, car il y a du sens en eux,
autant au moins qu’en ce qui est « cadré » n’est
pas le problème : en même temps, contextuellement ;
l’un donnant, et réciproquement, sens à l’autre.
Il n’empêche que persistent des pertes de sens…
Ces pertes, ces à-côtés récupérés
gardent leurs « allures » de « à-côtés »,
et puis ce geste récupérateur engendre d’autres pertes… Oui,
je parlais de « cadré ». C’est là qu’est
le sophisme de toute la peinture actuelle, dan sa façon de donner
le travail comme étant décadré, cette illusion d’infini
qui est joué. Or, tout ce qui déborde le cadre est perdu – sauf à déplacer
le cadre ! La peinture déborde ? Oui. Il faut l’accepter,
le montrer : pour cela j’encadre encore. Avec d’autant
moins de mauvaise conscience que je sais bien qu’elle continue
de déborder, toujours plus loin, chaque –geste créant
sa part de pertes.
R.M. :
Pour en revenir à ma question, tu as apparemment si peu le choix
que tu présentes ton activité à la fois comme un
acte magique (je reprends volontiers ton terme) et comme reflet de la
situation. Tu n’es guère « dans le vent » !
et ça ne me gêne pas… Deux questions donc à ce
propos : premièrement, l’acte magique me paraît
illusoire ; en es-tu d’accord ? Comment acceptes-tu cette
illusion ? Deuxièmement, le reflet – ou le constat – de
ta situation… quel est son intérêt ?
M.A. :
L’explication par la magie est certainement illusoire. Quand on
dit « la lessive X lave plus blanc », si la publicité marche
on fait apparemment de la magie. Mais je suppose que l’analyse
psycho-sociologique du problème efface la notion de magie. Je
crois que l’acte, lui, n’est pas illusoire. Je dis « là intervient
une activité magique » parce qu’il est ressenti
qu’il se passe quelque chose, et qu’il n’y a pas, à ma
connaissance, d’hypothèse raisonnée suffisante pour
couvrir cet événement. C’est le saut dans et par-dessus
le vide dont j’ai déjà parlé. Là je
lâche la rampe, et je le sais : c’est la condition,
le risque de l’avancée. Je peux toujours feindre de revenir
sur mes pas, ne pas tenir compte de ce qui a été fait cette
fois, et recommencer autrement. Je n’en tiens pas compte, peut-être,
mais ça compte…
Bon, bon, bien sûr, je sais : on pourrait me traiter d’obscurantiste.
Mais je ne suis pas naïf ! Je connais bien ce qu’il faudrait
dire, ce qu’il est convenu de déclarer, si je voulais paraître
progressiste, voire révolutionnaire… Le paraître
des salons ne m’intéresse guère… à quoi
bon ? Devant le faire, j’aurais les mains plus vides
encore, et sous prétexte que tout est résolu, les problèmes
qui se posent seraient éludés. Je n’entre pas dans
ce jeu où il est convenu que pour soi tout est fait, qu’il
faut changer les autres… position de pouvoir des profs et des
rédacteurs en chef… vous voyez le type de bonhomme… disons
que devant le mur je dis qu’il y a un mur, et je vois si je peux
passer ; tandis qu’il est bien vu de dire : » Quel
mur vous arrête ? J’ai moi passé tous les obstacles… mais
je vais consentir à vous dire comment s’y prendre… » après
quoi on peut légitimement s’asseoir… à l’ombre
du mur.
Quant au deuxième point… J’ai évité d’employer
le mot reflet. D’abord parce qu’il est bien trop connoté.
Ensuite parce que s’il y a miroir, ce n’est pas un miroir
plan – ne serait-ce que par « défauts ».
Et puis intervenir c’est modifier ce sur quoi on intervient. Alors… N’est-ce
pas plutôt ton, rôle de répondre à cette question ?
- « Identités » n°11/12. Eté 1965
- « Art Press » n° 2. Février 1973
- René Passeron « L’œuvre picturale
et les fonctions de l’apparence. Vrin. 1960
21. bis
Une démarche en crabe
Premier entretien avec R. Monticelli
Raphaël Monticelli :
Je te disais il y a un instant que tu n’es guère « dans
le vent ». Il me semble que c’est d’une manière
générale ta position dans la peinture qui est « marginale »,
ou au moins, non pas à contre-courant, mais pour ainsi dire en
dehors du courant, et cela depuis que tu peins. Par exemple tu employais
le châssis alors que tous, dans nos milieux du moins, le bannissaient.
Tu donnes à voir des « images » quand l’aniconicité est à la
mode. Tu faisais figure de « théoricien » à une époque
où les peintres n’avaient pas encore cette manie ;
je me souviens même qu’à l’époque où nous
nous sommes connus, tu flirtais avec le mouvement Fluxus agonisant, avec
comment dire ? une retenue, et une espèce de distance qui
m’avait étonné…
Marcel Alocco :
Mon travail, dans le contexte des arts plastiques et de la peinture de
ces dix dernières années, peut paraître incongru – ou
bien il l’est ?... C’est qu’au moment où les
peintres qui vont faire la peinture de cette décennie sortent
des écoles d’art, je reviens aux problèmes plastiques
après des études littéraires et par la voie de la
critique, de façon générale, de l’écriture.
Quand je tente, un peu imprudemment pour une fois, semble-t-il, quoique
de manière modeste et mesurée, d’introduire dans
mes « commentaires » des concepts linguistiques,
c’est insolite parce que la critique d’art n’en avait
pas encore fait son cheval de bataille, mais c’est conforme à ma
formation et à ma préoccupation d’alors : « l’idéogrammaire » est
la tentative d’une sorte de pont lancé entre le texte d’où je
viens et la peinture dans laquelle j’interviens. En fin 1967 ou
début 1968, lorsque Dezeuze, de passage à Nice, voit pour
la première fois dans mon atelier mes « écritures », « lexiques »,
etc… il résume mes explications par cette phrase que j’aurais
peut-être oubliée si je ne l’avais notée dans
mon « journal d’atelier » : « En
somme, tu veux faire avec les moyens de la peinture une anti-peinture ».
C’est ce que toi-même écrira vers la fin de la même
année dans le catalogue d’INterVENTION à Rome.
N’oublions pas qu’alors B.M.P.T., bien que scandaleux (je
pense aux réactions qu’ils provoquent durant la Biennale
de Paris en octobre 1967) reste un groupe noyé dans le flot de
la production hétéroclite et qu’il est donc un groupe
fort marginal et très contesté, n’oublions pas qu’alors
l’objet occupe le premier plan et que la peinture identifiée à la
depuis longtemps agonisante, à ce qu’on dit, Ecole de Paris,
est pour ma génération un moyen dévalorisé :
on refuse de se dire peintre, on est plus volontiers à la rigueur
anti-peintre. On rejette la couleur, en emploie le moins possible et
en s’en excusant, on est volontiers monochrome, on peint en camaïeu,
comme si c’était moins compromettant d’employer une
couleur que des couleurs ; et on va bientôt préférer
parler de matière, de pigment… La « belle » peinture,
affublée du péjoratif « rétinienne » est
bannie. J’apparais, dans ce contexte, comme quelqu’un qui
cherche à redonner, contre la « belle » peinture,
dans une démarche très conceptualisée, donc comme « anti-peinture » une
fonction à la couleur.
Aujourd’hui, en en parlant, il lme semble que si ma position était
insolite, celle-ci acceptée, les moyens de la « parler » étaient,
eux , relativement adaptés à ce type de travail ;
disons plus justifiés qu’à propos d’autres.
Pour Fluxus, mouvement auquel ma contribution a été très
marginale, ma « retenue » était de plusieurs
ordres. D’abord la version très personnelle qu’en
donnait Ben, à Nice… Et puis sans doute le côté « petite épicerie » que
dénonce justement François Pluchart dans un récent
numéro d’artitudes, et qui déjà me
gênait. Mais avoir rencontré George Brecht à ce moment-là… C’était
au printemps 1965, nous étions allés avec Ben à Villefranche
l’interviewer : le résultat fut cette Conversation
sur autre chose que j’ai publiée dans Identités (1),
interview partiellement reprise en 1973 dans Art Press(2). Cette conversation
s’est continuée dans les mois qui suivirent, et paradoxalement
je pense que c’est la réflexion provoquée par l’attitude
de George qui m’a con duit à revenir à la peinture
pour nous dévalorisée. Les nouveaux-réalistes, Arman
en tête, nous le répétaient… Ils avaient des
raisons, leurs raisons… Yves Klein avait posé le point
final – encore un ! Toute l’histoire de la peinture
n’est-elle pas faite, pour employer un pluriel bien singulier,
de derniers tableaux ? Mais dans la perspective de George Brecht,
la peinture devenait un « arrangement » comme un
autre. De plus Fluxus, il me semblait – c’est peut-être
une vision personnelle, orientée par mes préoccupations
d’alors – cultivait la non-délimitation des genres.
J’avais par exemple proposé, dans cette perspective, un « event » intitulé : le
bruit du velours rouge ; il s’agissait tout simplement
de déployer un coupon de velours, vert d’ailleurs, sur la
scène, en présentant ce geste comme une composition musicale… Bon,
passons : ceci pour signaler simplement comment mon entrée,
ou mon retour, comme on voudra, dans la peinture, prend une route particulière.
Ici encore je me distingue des gens de ma génération, lesquels
ont dû, à ce qu’ils disent, « abandonner
un savoir ». Il y avait près de dix ans que mon maigre
savoir pictural s’enfonçait dans l’oubli. Pour moi
la peinture apparaissait comme un moyen neuf, à inventer. C’est
pourquoi jamais je n’ai parlé d’abandonner un savoir,
de déconstruire, ni même comme certains aujourd’hui
de reconstruire. Il me fallait « trouver » la peinture.
Alors je me suis mis à faire le b et a ba ; mais le livre était
bien sûr écrit pour moi comme pour eux : je veux dire
qu’il y avait bien une peinture déjà là, qu’on
tente de la nier comme eux, ou de l’inventer comme moi. Seulement
nous ne le percevions probablement pas de la même manière ;
là où eux voyaient par exemple… en Mathieu… un
adversaire – enfin, c’est ce que je suppose– j’étais
indifférent devant une peinture qui me semblait d’un vide
retentissant : je n’étais pas concerné, cela
se passait sur une scène, je refusais d’entrer dans la salle,
celui qui repeignait la façade m’intéressait suffisamment.
Il faut dire aussi que l’influence des peintres américains
tant invoquée n’a sans doute guère joué directement,
moins certainement que la réaction négative de la peinture
régnante chez nous… L’influence s’exerçait
surtout par la reproduction photo… C’est maigre ! Pour
Pollock, évidemment, il passait mieux, il y avait le geste. Alors,
pour l’apport positif, un Hantaï présent, le travail
de Parmentier ou les positions du groupe B.M.P.T. , c’était
bien plus traumatisant que dix américains en cartes postales !
Ceci pour la génération en général, car personnellement
je me suis senti plus « travaillé » par
les discours totalement extérieurs… Ou alors par le « comment-cela-devient-du-Hantaï ».
Aussi, les reproductions… invisibles ! L’avantage de
mon attitude, ou plus justement de ma situation, était que je
ne pouvais pas considérer tel ou tel problème comme résolu.
Aucune possibilité de solution ponctuelle, inconvénient
de cet avantage. D’où cette démarche en crabe, fort
complexe, quoique je l’espère – enfin j’ai
essayé– suffisamment cohérente.
Finalement, ce qui me paraît, d’une façon générale,
caractériser la « nouvelle peinture » en
France, c’est son inscription dans le droit fil de cette Ecole
de Paris tant décriée… Y compris par le biais de
la nouvelle abstraction américaine. En dépit d’une
production discursive inflationniste, cette pratique me semble un peu
courte, bornée à tous les sens du mot… Pour tout
dire, en cédant peut-être un peu à la tentation de
provoquer, je me demande sic e qui est intéressant chez, pour
prendre un exemple, Viallat, ce n’est pas ce qui dans son travail
peut rejoindre Boltanski… Oui, héritière de l’Ecole
de Paris : il n’est que de voir comment de l’héritage
de l’abstraction d’après-guerre, cette « nouvelle
génération » considère comme acquis,
durant les années où elle s’illustre dans la déconstruction
(et, sur ce point, sans la moindre remise en question), que le problème
de l’image est résolu par la non-représentation au
sens où l’entendaient – ou du moins la pratiquaient – mes
peintres des années cinquante. Qu’on lise René Passeron
(3), et on verra que la façon de penser alors la peinture n’était
pas si folklorique qu’on le voudrait faire croire.
Or, c’est là justement que se joue la peinture : dans
le rapport de l’image (laquelle se constitue dans toute intervention
picturale) avec ses conditions d’existence. Si tu préfères,
rapport de l’image à « ses constituant matériels
immédiats ». La discorde du châssis m’a
toujours laissé étonné. Je ne parviens pas à comprendre
qu’on puisse penser avec quelques morceaux de bois, même
travaillés de tenons et mortaises. Moi, je croyais qu’on
pensait avec des concepts ! J’ironise… C’est
pour dire, tu le devines, que pour moi le châssis est un effet,
non un concept opératoire. C’est pourquoi lorsque j’ai
tenté de faire le point sur disons les « constituants
immédiats » de la peinture, j’ai abordé le
problème par la notion de (dé-)tension, c’est-à-dire
ce jeu possible de tendu-détendu… et, au reste, ce qui
m’a semblé important, c’est l’état plastique
du support au moment de l‘intervention picturale, et non l’état
de présentation, sa mise en scène, laquelle peut voiler
ou dévoiler le travail, mais ne le change pas. Si je froisse une
toile de Cézanne et la pend par un coin, je change l’objet,
pas la connaissance : j’entraîne plutôt une méconnaissance.
D’où, sans doute mon horreur du théâtre à texte,
en ce qu’il me paraît toujours mutilant, réducteur… Je
ne supporte le théâtre que si j’oublie ce qui est
dit, si le texte, d’une façon ou d’une autre n’a
pas d’existence autonome… sans quoi je préfère
qu’on me donne le texte à lire et imaginer. Pour fermer
cette parenthèse, j’en reviens à Hantaï :
le rapport au châssis, ou au mur, ce qui pour moi a la même
valeur, d’une toile de Hantaï, me paraît important dans
la mesure où la peinture est faite par le froissage initial, d’où la
nécessité d’avoir un support dé-tendu au moment
du travail. Chez tous ceux qui ces dernières années ont
travaillé des tissus sans châssis, cette absence me semble
secondaire et d’autant plus que le tissu, au moment du travail,
est mis en place, au sol, à plat, peut-être pas fixé,
mais figé…
Nice, mars 1975
- Identités n°11/12, été 1965
- Art Press n°2 février 1973
- René Passeron. L’œuvre picturale et
les fonctions de l’apparence, Vrin 1960
Artitudes International n°24-26, juin 1975
21. ter
Troisième entretien
(été 1976)
Marcel Alocco :
La publication dans un numéro d’Artitudes d’un
fragment de notre précédent entretien a provoqué quelques
remarques. J’espère avoir aujourd’hui, dans le courant
de notre conversation , l’occasion de préciser ou
nuancer mes propos, propos dont je suis conscient que pour traiter de
situations générales ils déforment certaines positions
particulières.
Mais pour commencer, j’ai ces jours-ci rapprochés certains
faits que voici : on dit que le public ne se précipite pas
sur les ouvrages présentant la peinture actuelle, ouvrages dont
la diffusion est , relativement aux tirages atteint dans certains
cas par l’édition, d’une extrême faiblesse.
Ecartons, quoi que ce ne soit probablement pas sans incidences,
la questioin du prix de vente… Quand on examine les
deux derniers en date parus en France, « Art en France » de
Jean Clair, sorti début 1973 et « L ‘Art
actuel en France » d’Anne Tronche » paru
un peu plus tard, on s’aperçoit que ces ouvrages, pour se
présenter comme des panoramas sont en fait des sélections.
Je ne conteste nullement ào un critique le droit d’apprécier
de l’apport culturel de tel ou tel artiste. Je constate simplement
ce fait : au lieu de présenter un panorama des événements,
sinon objectif – ne soyons pas utopiste– du moins le
plus complet possible, pour ensuite indiquer quelles perspectives l’auteur
estime fécondes, on préfère ignorer certaines zones… Qui chercherait
là quelques indications sur, disons Pincemin ou Meurisse – on
pourrait en citer d’autres – s’aperçoit
qu’il n’en est pas question. Autrement dit, ces ouvrages,
aux yeux de l’amateur étonné, qui penserait – il
y en a– ces deux peintres – à tort ou à raison– parmi
les plus intéressant dans les démarches picturales actuelles,
ces ouvrages semblent périmés, et ceci à peine quelques
mois après parution.
D’autre par je constate que l’une écrit « Support/Surface
regroupe depuis 1968… » tandis que l’autre fait
remonter son histoire à 1966, alors que jamais, avant qu’en
1970 Vincent Bioulès invente ce label, et que se constitue
officiellement le groupe à l’occasion de l’exposition
de l’A.R.C., groupe qui devait durer de septembre 1970 à juin
1971, avant d’éclater à Nice, et de se poursuivre dans
une sorte de « maintenance » par les « Cahiers
Théoriques », jamais avant cette époque il n’avait été question
de supports/Surfaces. Il y avait un courant plus vaste que ce qu’allait
devenir le groupe, des conjonctions significatives, comme INterVENTION
en 1968, l’exposition de l’Ecole spéciale d’Architecture
en 1969, exposition ou mis à part Pincemin, organisateur, ne participait
que de provinciaux, les expositions de l’été 70… Ceci
met en question le rôle de la critique, et une certaine mystification
portant sur la chronologie historique favorisée par certains peintres.
Tu as déjà abordé dans une préface (1) ce
problème. Voici , en vrac, quelques remarques ajoutées
au dossier… Que peux-tu en dire actuellement ?
Raphaël Monticelli :
Eh bien, voilà que c’est le critique qui est sur la
sellette… Tu sais combien je suis réticent à me
gratifier d’un tel titre, préférant me présenter
comme étudiant de la peinture, apprenti auprès de vous ;
il n’en reste pas moins que, objectivement, j’ai un rôle,
un statut, une place de critique, local il est vrai, mais critique tout
de même.
Cela pour dire que dès lors que tu mets en question le rôle
de la critique – ou des critiques– comme quand
je le mets en question,– c’est mon propre rôle
que je mets en question, tout en le jouant d’ailleurs. Et si nous
mettons en question le rôle du critique nous le devons encore aux
peintres – non aux critiques. Non pas parce que leur lise
en question de la peinture, les questions que j’en tire, les problème
que ça pose, implique que la critique elle-même est touchée.
Je semble sans doute, pour le moment, tourner autour de ta question
qui portait, en somme, sur l’historique, sur le déroulement
chronologique des événements… C’est que j
pense que cette chronologie est secondaire, je veux dire que ce n’est
pas la recherche – et l’erreur – chronologique qui
détermine la peinture, c’(est au contraire l’attitude
que l’on a à l’égard d’un certain type
de peinture l’erreur. Plus brièvement je dirai que lorsque
Jean Clair fait remonter à 66 et Anne Tronche à 68 l’activité de
Supports/Surfaces ou bien ils prennent leurs désirs pour
des réalités ou bien leur erreur est l’écho
des désirs de certains. Note qu’ils n’ont pas tort ;
l’activité du type Supports/Surfaces est bien antérieure – est
nécessairement antérieure – à la réunion
de certains peintres autour d’un sigle, mais alors, je crois, il
faut remonter beaucoup plus loin. Mais si je dois parler de Supports/Surfaces
comme tel, je ne remonterai pas au-delà de 70…
M.A. :
… Encore faut-il préciser de quoi on parle !...
R.M. :
… la chronologie n’est pas déterminante ;
mais la netteté – (l’honnêteté)– en
la matière est significative.
Alors d’où naît l’erreur ? Ni Anne
Tronche, ni Jean Clair, semble-t-il, ne sont malhonnêtes ;
on ne résoudra rien non plus en les prenant pour des imbéciles.
Je dirai même nettement que je les tiens l’un et l’autre
pour des personnes honnêtes et intelligentes, beaucoup mieux placées
que toi et moi pour savoir et faire savoir…
Je peux maintenant prendre les deux bouts de mon histoire. Si je
mets en question la critique, c’est que l’erreur – à mon
sens– procède du statut même du critique aujourd’hui.
Que mes erreurs, – dont nécessairement je n’ai pas
conscience– naissent du rôle que je joue ; et que
je préfèrerais commettre le moins d’erreurs possible – en
tous cas être en mesure de les reconnaître… Je dirai
que pour cela il faut que je les commette, c’est-à-dire
que j’accepte le plus possible ce rôle. C’est dans
cette idée que j’ai organisé une exposition Galerie
Boudin. Tu sais avec combien de réticendes avec combien de tourments
et presque de remords ; (je ne sais pas si j’aurai– si
je chercherai – l’occasion d’en organiser d’autres),
mais cela m’a beaucoup appris sur le rôle que j’essayais
de ne pas jouer toiut en l’organisant, et que je jouais tout de
même. De ce point de vue aussi toute l’évolution de
mes rapports avec Dolla m’a beaucoup appris.
Mon point de vue avoué – comme celui de beaucoup d’autres– est
d’informer le public. Dans les faits, le critique informe le public
moins qu’il ne promeut une marchandise, et cela d’autant
plus qu’il est – comme on dit– mieux placé ;
c’est-à-dire qu’il représente une plus grande
possibilité de valorisation de la marchandise artistqiue. Du point
de vue de l’information la critique manque son but.
Se dessine en négatif de tout cela l’exigence d’une
activité critique d’explication. D’étude de
l’art. Et des conditions qui en faciliterait la possibilité,
permettraient même son épanouissement. En gros, séparer
l’exigence critique des exigences du marché. Sortir de la
logique du profit qui se répercute jusqu’au niveau théorique .
C’est le socialisme que je définis… on le sait.
Mais en attendant ? EN attendant, la minutie la plus grande,
l’effort théorique le plus honnête, le plus prudent,
le plus rigoureux. En attendant la dénonciation de ces mystifications
permet d’éclairer un champ de lutte, un enjeu de combat,
permet à la fois de mettre en lumière la nature de classe
des conflits de critiques – même sur les dates– et
de se situer soi-même clairement sur des positions de classe.
Mais toi-même, tu as touché à la critique… et
ne minimise pas ton rôle, je ne suis pas le seul à te devoir
beaucoup… Tu peux sans doute apporter des réponses à ta
propre question.
M.A. :
Pas pour l’instant ; aujourd’hui j’aimerais
rester en position de questionneur, ne pas laisser les rôles s’inverser.
Nous pourrons probablement revenir sur ces problèmes et sur le
sens et les effets de mes interventions… « critiques »… si
tu veux.
Pour l’instant voilà ; tu disais dans l’entretien
précédent, je te lis : « … que je
crois que les formes disposées sur ma pirogues permettent la flottaison… ne
change rien à ce que la peinture m’apprend, ce pourquoi
en réalité j’ai peint… ». Je t’ai
entretenu à mesure de mon travail, et tu sais que je l’ai
abordé par approximations successives, soucieux de ne rien écarter,
avec cette hantise de ne pas me laisser conduire, comme tant d’autres,
fasciné par un seul problème, à abandonner certains
aspects pour explorer un fragment qui serait « mon fragment »… Comme
certains, ceux que j’appelle les « réducteurs
de têtes », tu sais ce texte de dérision que
j’ai publié en 1970… Bon, dans une certaine
mesure mon travail « m’aide à flotter ».
Mais toi, face au Patchwork, qu’est-ce que tu apprends ?
R.M. :
Oui… C’est sans doute plus facile pour la pirogue que
pour le Patchwork… Facile à chercher en tous cas… Ne
serait-ce que parce que le Patchwork je le vois au fur et à mesure
qu’il se fait, et qu’à chaque moment de sa relation à lui
j’essayais d’analyser à la fois ton travail et mon
propre regard. Le Patchwork j’en ai d’abord entendu
parler : je ne sais pas si tu te rappelles… Tu expliquais
ton travail et tu ajoutais des tas de « tu verras ».
Ca m’avait surpris et intéressé… ça
m’avait laissé sur ma faim. En passant un remarque :
j’aimerais bien qu’un jour nous parlions de la relation entre
le vu et le dit dans l’appréciation de la peinture, de ce
que la vision doit à la langue ; je m’y suis déjà intéressé,
mais faute de temps, d’outils, de conditions favorables, je n’ai
jamais continué. Alors…
Quand j’ai vu premiers patchworks, j’ai vu, déchiré,
tout ce dont tu avais chargé tes travaux d’images, l’ambiguïté,
réelle ou perçue, de leur ressemblance faussée.
Puis je t’ai vu travailler : longue patience de la couture,
activité quasiment maniaque qui, pour la première fois
te mettait en contact immédiat, direct, constant, avec la toile.
Du coup je me suis mis à m’intéresser à la
distance que tu avais toujours entretenue avec la toile, les matériaux,
dans la peinture que tu avais faite jusque là. Le Patchwork,
si tu veux, c’est le lieu plastique de rencontre, de tension,
de contradiction entre diverses préoccupations et – en
même temps – le lieu où d’anciennes contradictions
se résolvent.
Premièrement, le Patchwork résout le problème de
la composition, des limites, du format. La production antérieure
se présentait, que tu l’aies ou non souhaité, comme
rigidement composée en quatre parties égales…
Marcel Alocco :
Tu veux parler des images de 1972-1973 probablement ?
R.M. :
Oui, c’est ça, quand tu mettais en place l’un des
matériaux que le Patchwork devait utiliser… la composition
rigide autour des médianes produisait un point de convergence
optique au centre géométrique de la toile, accentuait sa
quadrangularité, la délimitait parfaitement. C’était
déjà une manière de banaliser la limite. Le Patchwork
part de cet état de la toile.
M.A. :
Parfait… Aujourd’hui la toile est autrement organisée,
ou désorganisée, comme on voudra.
R.M. :
Tu déchires, et par lune reconstitution aléatoire qui rend
un rectangle…
M.A. :
Qui tend de moins en moins au rectangle.
R.M. :
Je suis d’accord. D’une part la déchirure dans le
droit fil produit des morceaux rectangulaires qui, montés par
juxtaposition de leurs côtés, tendent en gros vers le rectangle – conservent
l’orthogonalité, de l’autre les morceaux nbe sont
pas montés pour remplir un rectangle, ils ne s’inscrivent
pas dans les limites prévues du rectangle. En ce qui concerne
la composition, la délimitation, les limites et le format, le
Patchwork éparpille la vision, banalisant la limite et éliminant
la rigidité de la composition. Dans tes tout derniers travaux
tu accentues encore le refus de te laisser enfermer – et d’enfermer
ta production– dans des problèmes de limites et de formats :
très tôt tu as nommé tes patchworks « fragments »…
M.A. :
J’ai surtout, dès le début, parlé au singulier
du Patchwork…
R.M. :
Eh bien, en respectant de moins en moins le rectangle, tu insistes toujours
plus sur le côté fragmentaire de chaque Patchwork :
chacun est un tout et en même temps un élément
d’un ensemble plus vaste en construction. Si tu préfères,
tes derniers travaux me semble insister davantage sur le caractère
discontinu de la pratique.
Deuxièmement, le Patchwork te permet de présenter comme
un tout les « formes » et le « fond » qui
les permet ; l’image et les matériaux qui la permettent.
Lorsque tu présentais des images comme réserve écrue
sur une toile, ou peintes selon un traitement différent (empreintes
sur une toile pigmentée par pulvérisation) tu mettais en
avant l’opposition de traitement, d’apparence et de statut
entre la toile-support et l’image, même si ton intention était
autre, et – par certains côtés– apparaissait
comme autre…
M.A. :
A cette époque j’étais à la fois très
convaincu par la démarche et insatisfait du résultat, cette
opposition dont tu parles…
R.M. :
Par exemple le support bénéficiait d’un traitement
plastique plus évident que l’image ; c’était
le « fond » qui faisait la peinture. Le Patchwork,
parce qu’il ne repose ni sur la déchirure de la toile seule,
ni sur le découpage de l’image, mais qu’il suppose
la déchirure dans le droit fil, indistinctement, de l’œuvre
entière, unit intimement l’image et le support, ce qui est
présenté et ce par quoi c’est présenté ;
je crois que c’est important ; le médium devient plus
nettement un élément plastique à part entière,
et la forme apparaît comme instrument entre autre de la transformation.
Il s’agit, si tu veux, d’une espèce de radicalisation
plastique du travail : le mouvement vient de moins en moins d’une
réflexion théorique sur l’image, mais de l’acte
de peindre lui-même.
M.A. :
Oui, le Patchwork c’est le confluent de toute une série
de problèmes, dans lesquels l’image se trouve prise. C’est
aussi la réalisation d’une volonté de ne jamais rien
abandonner dont il a été question et qui se manifestait
pleinement avec « La Peinture déborde »…
R.M. :
La réflexion sur l’image était importante. C’est
en aiguisant cette contradiction qui naissait de ton rapport aux images
et à tes travaux d’images que tu as été amené au
Patchwork. Ce qui sera mon troisièmement : l’image
n’apparaît plus comme un élément d’un
stock, d’un répertoire culturel ou d’un système
de référence mais comme un moment de réalisation,
d’objectivation en rapport avec une activité de perception.
Tu ne la présentes pas comme objet d’un regard (Comme ce
que je vois, mais comme élément qui construit un regard – ce
qui fait que je vois de cette façon, que je regarde ainsi). Elle
n’est plus »image » de culture passée,
objet de reconnaissance, mais moyen d’une culture critique ;
ce que tu fais et présentes produit une connaissance. Et cette
production ne s’opère pas chez un peintre par une « vision » (la
main et le corps devenant alors des instruments chargés de rendre
la vision) qui précède la pratique, mais par la vison se
construisant, se situant, se mesurant, se développant dans le
rapport du corps à l’espace, les mouvements du corps, leur
maîtrise. Dans la pratique en somme. La production du peintre est
alors point de repère et d’analyse dans la construction
de la perception de l’espace, objectivation plastique du rapport à cette
construction.
Quatrièmement, il me semble que le Patchwork répond pour
toi – voulue ou non– à la nécessité d’un
contact immédiat avec la toile. Tu vois qu’en fait je développe
ce que je disais dans mon troisièmement. Jusque là (je
crois l’avoir dit au début) tu avais eu avec la toile des
contacts différés ; tu avais toujours cherché la
plus grande distance possible entre la toile et toi, les matériaux
et la toile ; tu prenais des bombes pour pulvériser, des
caches pour empreinter, et ton utilisation des brosses avait un côté très
froid, très net, de peintre en bâtiment. La distance existe
toujours mais à un autre niveau.
M.A. :
C’est ce dont nous avons parlé dernièrement à propos
de dérision et de distanciation.
R.M. :
Oui.
M.A. :
« Dérision » n’est d’ailleurs pas
très juste. Cette distance que je marque par rapport à la culture
n’est pas une mise en jugement. C’est simplement une espèce
de mise à plat. Je ne porte pas de jugement de valeur. La culture, c’est
mon matériau. Alors c’est ça la culture, et c’est ça
que je prends.
R.M. :
Il me semble que tu peux d’autant mieux marquer cette distance
que, dans la pratique, tu entres en contact immédiat avec la toile.
Avant le Patchwork tu avais déjà expérimenté des
découpages. Tu les as, momentanément peut-être, abandonnés.
M.A. :
Tu penses au travail de 1969 ?
R.M :
Oui, la toile que tu as dans le couloir.
M.A. :
Le « Brouillage »… C’était
lié aussi au débordement du châssis, comme dans le
cas de la toile ocre de la même époque que possède
Ben. J’y suis revenu épisodiquement, mais constamment…
R.M. :
Ce que tu découpes, dans ce cas, c’est encore l’image.
Dans les rubans sergés que tu avais présentés à la
Biennale de Paris de 1971 les espaces entre les rubans laissaient voir
le châssis, mais c’était une tout autre problématique.
Aujourd’hui il s’agit de déchirer une toile déjà peinte, ça
me paraît important. Du point de vue de la pigmentation ta toile
est terminée.
M.A. :
La toile matériau est terminée, soit, et la manipulation
des fluides. Reste à faite la « peinture », établir
la couleur de la pièce qui va en résulter. Ici commence
le travail de la peinture à sec, disons comme… le montage
d’un vitrail ou de certain collages. Mais à la différence
que là où ces techniques construisent l’image, j’utilise
l’image pour faire la couleur.
R.M :
Ah… je défendrais volontiers l’idée que dans
la mosaïque, le vitrail ou les collages aussi, et quel que soit
le contenu sémantique, l’image était aussi (et peut-être
surtout), le moyen de « faire » la peinture, et
de traiter le rapport aux couleurs aussi. C’est encore l’histoire
de la pirogue.
M.A. :
Mais la démarche est comme… inversée… J’aurais
dû dire en effet que le Patchwork va « refaire » la
couleur.
R.M. :
Pour en revenir au con tact immédiat, depuis le Patchwork la pratique
de la construction de la toile-matériau a elle-même changé :
il y a les drippings, les toiles froissées pulvérisées,
défroisssées, refroissées pulvérisées
en une couleur différente, les grands traits de brosse où le
geste ne se cache pas. Si du point de vue des limites le Patchwork, parce
que c’est un ensemble de fragments, insiste sur la continuité de
l’œuvre, du point de vue de la pratique c’est devenu
nettement discontinu.
M.A. :
En effet, le traitement de l’espace conjonctif entre les caches
a changé.
R.M. :
On peut ajouter encore quelque chose : en fait si le matériau
coloré est prêt, le travail de la couture, du dessin de
la couture, commence.
M.A. :
C’est alors un autre dessin qui, oui.
R.M. :
C’est un autre dessin qui vient se supperposer..
M.A. :
Oui… qui vient s’imposer à la couleur.
R.M. :
Qui vient s’imposer, c’est plus juste… et dans ce
cas, le fait que tu aies cherché – à certain moment– à savoir
si tu allais ou non pigmenter les fils de couture est intéressant à prendre
en compte.
M.A. :
Ah oui, j’ai tenté dans quelques pièces des couleurs
dans les fils – je me suis contenté d’ailleurs, en
pratique, dans quelques pièces relativement récentes de
colorer les fils qui restaient… L’en-trop de l’aiguillée.
Et pour les toutes premières, en 73, j’employais des fils
déjà colorés, selon des modalités trop complexes
et mal établies : j’ai préféré abandonner – provisoirement.
A signaler l’emploi pour une pièce totalement blanche – écrue
plutôt car il s’agit d’un tissu tel quel – de
fil écru e t rouge, l’un employé perpendiculairement à l’autre,
de telle façon que je ne dessine jamais une figure fermée
d’une même couleur…
D’ailleurs, à ce propos, je pense qu’il y a un principe
d’économie qui est devenu conscient et qui est important.
J’entends économie dans le régime de fonctionnement, « La
peinture déborde » compris. Le fait de garder les fils
est un principe d’économie au sens strict ; et qui
entre dans l’économie du travail. Au lieu de les couper,
je les introduis directement dans le travail.
R.M. :
Et en même temps, le fait de les garder dans le Patchwork me ramène à l’idée
de pratique discontinue, de contact plus immédiat ; dans
les premiers Patchworks c’était curieux : la couture
feignait sa continuité, on avait l’impression , à voir
un Patchwork, que c’était un même fil qui avait servi
tout du long. Garder les fils, dans les derniers travaux, c’est
accepter sa propre pratique.
Je n’ai plus grand chose à dire pour répondre à ta
question, sinon souhaiter que nous discutions un jour de la peinture
comme objectivation d’un rapport à la réalité (quelle
réalité ?) par des moyens propres ; de la façon
dont une objectivation transforme le rapport lui-même pour le sujet
qui peint comme pour celui qui regarde ; comment se développent
les contradictions contenues dans l’œuvre elle-même,
et celle qui surgissent et s’aiguisent dans le rapport à l’œuvre.
Beaucoup de problèmes pour une fin de réponse, non ?
M.A. :
Tu as sans doute davantage que moi à dire sur ce point, et de
façon plus pertinente. Car je vois bien que ça te trotte… Tu
y reviendras si tu veux au galop… Pour moi… Tu viens de
dire, à propos des fils, que c’était là « accepter
sa propre pratique »… C’est dans ce sens que
va mon effort, quoique le mot effort là me semble assez impropre à traduire
cette attitude, attitude au reste qui n’est pas nouvelle. J’ai
souvent dit qu’il y avait dans le travail une logique interne qu’il
fallait exploiter : je guette l’apparition d’un détail,
je l’accentue, le mets en évidence… J’apprends à la
voir. Une démarche qui fait qu’on s’ensevelit » dans
sa pratique : ce qu’on pense et xce qu’on dit, les mots
que l’on prend au mot – je veux dire que décrivant
ce que je voit du travail, on constate une absence pour les autres, et
in remplit ce vide. On enchaîne, chaque fragment
appâtant en quelque sorte le suivant. Tout cela est – dans
l’immédiat égoïste– plus important pour
moi que de prononcer les conditions dans lesquelles cela se fait. Toute
l’évolution des couleurs, des thèmes, des structures – ces
constructions éclatées, non compactes, cet effacement des
limites, tout cela se creuse lentement : chaque fragment ressemble
au précédent, mais quelle différence, presque toujours,
entre un fragment et celui qui suit cinq ou six pièce plus loin… ce
n’est pas une question de progrès, c’est davantage ça…davantage évident.
Ce que disant, d’ailleurs, j’amorce dans le sens de tes questions.
Mais je préfère pour le moment rester sur le terrain plus événementiel.
Tu as dit que mon travail « n’était pas dans le vent ».
Cependant il y a un contexte auquel je sais bien que je ne suis pas étranger,
mais par lequel je ne me sens guère concerné, et de moins en
moins il me semble… Un moment ,vers 1971, j’ai été comme
paralysé par ce qui se passait autour de moi : quelque chose comme
un manque de confiance, un énorme « et si je m’étais
complètement fourvoyé ? », et j’ai persisté… Comment
vois-tu les choses, depuis dix ans – le temps à peu près écoulé depuis
que tu suis de l’intérieur les événements ?
Quels rapports entre les démarches, les situations, les réussites
ou les échecs – si cela a un sens –« l’exposition » (ce
qui se montre) et les occultations ?
Au fond c’est un panorama un peu complexe que je te demande, et peut-être
préfères-tu réfléchir. Aussi je te propose d’arrêter
ici, et de reprendre un autre jour sur ce point.
Catalogue d’exposition Alocco
« Shaped Free Canvas » 1976
Galerie « L’œil 2000 » Châteauroux.
- Préface de « Pour la Peinture, pour le public,
pour la critique », juillet 1975 . Exposition Galerie J.
Boudin à Nice : Alocco, Bioulès, Charvolen,
Dolla, Maccaferri, Mazeaufroid, Miguel, Pincemin, Viallat.
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