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Gilbert Lascault

Dons et textures
pour Marcel Alocco

Logique et mythlogie du cheveu

Ce texte a été publié avec en annexe  « Extraits d’un cahier d’atelier (fiction) » de M.Alocco  par les éditions Voix Richard Meier.
(voir dans « Textes » « Cheveux »)

Structures énigmatiques
Depuis 1995, Marcel Alocco crée des tapisseries de cheveux, des structures énigmatiques, des agencements discrets, des textures réservées, des assemblages pudiques. Au grand jour, il expose des textures ténues. nous rêvons face à ses oeuvres. Parfois, nous délirons, divaguons. Parfois, nous méditons, raisonnables. Parfois, nous sommes simultanéement sensés et insensés. Parfois, la logique perd la boussole. Parfois, la méthode se désoriente joyeusement.

Donatrices et don
A Marcel Alocco, des adolescentes et aussi de jeunes femmes proposent une mèche de leur chevelure. Chacune a son prénom et la couleur "naturelle" de ses cheveux. Cannelle, France, ont des cheveux d’un blond venitien. Rousses sont Stéphanie, Céline, Rosalie, Chloé. Brunes Vanessa, Magali, Alexandra, Stéphanie, Aurore, Martine, Marie-Hélène. La chevelure de Julie, de Cindy, de Valérie est blonde. Les cheveux d'Emma, Marine, Lisa, Elsa, Catherine, Béatrice, Virginie sont châtain, clair ou foncé. Marcel Alocco n'a pas connu (hélas, dit-il) d'Eve dans sa palette.
Dans l'œuvre, le prénom et l'initiale du patronyme sont indiqués; Cannelle B., Vanessa V., Cindy A. Il désigne les cheveux tissés des adolescentes. Par exemple, le tissage n°27 précise la chaîne de Béatrice A. (des cheveux châtain foncé) et la trame de plusieurs jeunes filles: Béatrices A. Cindy A. blondes, Catherine C. châtain clair, Stéphanie C. rousse, France R. d'un blond vénitien, Sarah B. d'un châtain foncé, Alexandra D. brune.
Marcel Alocco considère qu’en majorité des adolescentes sont les donatrices de l'œuvre, ses inspiratrices. Elles avivent, elles suggèrent; sans le dire, elles enfièvrent l'artiste; elles déterminent son travail; elles le commandent. Le donateur, la donatrice est une personne qui donne à l'église un tableau, un vitrail sur lequel elle se fait le plus souvent représnter à genoux. Ici, pour Marcel Alocco, les donatrices ne sont par représentées à genoux; mais elles sont nommées par leur prénom et les initiales de leur patronyme. La donatrice est généreuse.
Une donation est un contrat « par lequel "le donateur" (ou le disposant) se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte » , comme le précise le Code Civil. La donatrice se dépouille actuellement, irrévocablement, partiellement de ses cheveux. Et elle participe à l'œuvre en accord avec l'artiste.
En 1923-1924, le sociologue Marcel Mauss publie son Essai sur le don (1). Dans l'échange, donner, recevoir, rendre constituent trois obligations. Un échange généralisé s'impose. Tout (nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, services, offices sacerdotaux et rangs) est matière à transmission et reddition. Tout va et vient, comme s'il y avait échange constant d'une matière spirituelle comprenant choses et hommes, entre les clans et les individus, répartis entre les rangs, les sexes et les générations. Selon Marcel Mauss, le donateur était supérieur au donataire. Donner, c'était manifester sa supériorité, être plus haut. Accepter, sans rendre ou sans rendre plus, c'était se subordonner, devenir client et serviteur, devenir petit. Mais ce n’est pas le cas pour les travaux de Marcel Alocco, Mais ce n’est pas le cas pour les travaux de Marcel Alocco, sans infériorité, ni supériorité.
Ici, les adolescentes sont des donatrices élevées. Et, par ses œuvres, l'artiste permet de rendre le don; il n'est pas inférieur. Il est le donataire et transforme les cheveux en une création. Les supériorités, les qualités sont échangées.
Depuis les premiers dons, Marcel Alocco a créé un rituel: des échanges. Systématiquement, il envoie à la donatrice, par la Poste, au moins une carte qui est une oeuvre originale et ses remerciements au verso.
Bien sûr, les cheveux sont une matière, la palette, l'ensemble des couleurs. Mais, d'autre part, la donatrice est individualisée. Chaque mèche est liée à l'identité de la donatrice. Marcel Alocco peut rêver à tel prénom. Il peut toucher tels cheveux, les tresser, les caresser, et imaginer telle jeune fille. Les donatrices sont-elles des inspiratrices? Ce n’est pas sûr.
Ainsi, Marcel Alocco crée, invente, élabore, réalise le don de la chevelure, sa texture, ses signes, ses emblèmes. Il reçoit, donne et rend. Il échange. Par lui, les cheveux circulent, se meuvent, coulent, déambulent, passent. Les cheveux sont de la nature et de la structure, de la texture, quand Marcel Alocco dispose des fils en une chose tissée. Mais Marcel Alocco n’insiste pas sur le talisman; cela le gènerait. Pour lui, chaque oeuvre est essentillement une construction mobile. Les regardeurs peuvent rêver des cheveux et des prénoms, pafois « fantasmer ». Mais l’adolescente ou la jeune femme est une inconnue, une énigme; et c’est l’oeuvre qui est un événement et le surgissement d’une formr. Le travail, à partir du matériau (les cheveux), va au-delà de la personne de chacune. Il y a une objectivité tendre de l’artiste qui s’oppose aux anecdotes biographiques, qui a une grande pudeur. Marcel Alocco est mesuré, contrôlé.
Moi-même, comme regardeur, comme écrivain, comme rêveur, je fantasme trop, je délire. Mais Marcel Alocco, avec prudence, nous conduit à notre imaginaire. Chacun de nous peut parfois s’égarer, parfois retrouver le Nord. « Regardeurs, à vos fantasmes » dit Alocco.

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Pour Marcel Alocco, « le tissage montre la texture, la couleur, le cheveu » Il affirme: « J'ai inventé les cheveux», au risque de choquer. Dans la réalité, il métamorphose l'apparence. Il réalise les cheveux comme des évidences et des signes. Grâce à la texture, les donatrices dialoguent par l'intermédiaire de l'artiste.
En inventant les cheveux, Marcel Alocco invente la logique, la peinture, l'amour, la mer, la mémoire, les couleurs, les parfums. Il tisse l’inconscient et le conscient, l’archaïque et la création contemporaine, le permanent et l’improvisation, le simple et la complexité, l’émotion et les formes, l’insensé et la rigueur, l’apparent et l’invisible.
Il crée des tapisseries subtiles, ténues. Le matériau (cheveu) et et la trame produisent des « jours », des vides, des ouvertures.

Calendrier des donatrices
Trames et chaînes des cheveux des donatrices forment le calendrier des prénoms que Marcel Alocco énumère avec une âme émue. Les tissages constituent la célébration de l’adolescence perdue, puis retrouvée, et l’anniversaire des donatrices. Ils représentent l’avenir. Ils sont un barrage contre l’effritement, la disparition, la mort, l’oubli. Ils sont des jalons, des repères, des amers.

La passion de la chevelure
Cheveux dispersés. Cheveux chus, retrouvés, conservés. Marcel Alocco cite Jules Michelet pour qui la chevelure est «la fleur de la fleur humaine».

Tisser
Pour Heinrich Mann, dans Les déesses (1903), deux femmes détendues «reposent, épaule contre épaule»: « les tresses noires de l'une s'insinuèrent dans les blondes mèches de l'autre; leurs parfums se mêlèrent» (2).

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La trame, le tissage de l'Univers aurait été constitué par les cheveux de Çiva qui s'identifient aux directions de l'espace.

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Un texte assez étrange de Freud (à l'intérieur de sa conférence, La féminité, 1932) met en relation tissage, pudeur, féminité (3). Pour Freud, les femmes n'auraient que faiblement contribué aux découvertes et aux inventions de l'histoire de la civilisation. «Peut-être (dit-il) ont-elles cependant trouvé une technique, celle du tissage. S'il en est vraiment ainsi, on est tenté de deviner le motif inconscient de cette invention. La nature aurait fourni le modèle d'une semblable copie en faisant pousser sur les organes génitaux les poils qui les masquent. Le progrès qui restait à faire était d'enlacer les fibres plantées dans la peau, qui ne formaient qu'une sorte de feutrage.»

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«De jour, Pénélope tissait la grande toile et, la nuit, défaisait son ouvrage à la lueur des flambeaux. C'est ainsi que, trois ans durant, elle sut cacher sa ruse et tromper les Achéens»(4). Lorsqu’Ulysse ruse pour avancer, pour voyager, Pénélope, son épouse, ruse contre les prétendants dans son voyage immobile. Elle fait et défait pour que rien ne se passe, contre les événements. Elle tisse et détisse. En une répétition choisie et aimée, elle annule le temps, reine fidèle, fileuse. Pendant trois ans, sa fidèlité tient à un fil. Alocco est Pénélope, et simultanément Ulysse le rusé, le voyageur. Il se protège et nous protège.

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Dans Les métamorphoses d'Ovide (5), Arachné est trop habile; en une tapisserie, elle défie Pallas. Celle-ci déchire la tapisserie d'Arachné, et la frappe. « La malheureuse ne put supporter l'outrage et, dans sa rage, elle s'attacha autour de la gorge un lacet et se pendit.» Contre la déesse, elle a gagné par le fil et périt par le fil. Pallas la prit en pitié, allégea le poids et dit: «Conserve la vie, mais reste pendue, impudente.» A ses flancs «se rattachent de grêles doigts au lieu des jambes (dit Ovide); tout le reste n'est qu'un ventre d'où cependant elle laisse échapper du fil; et, maintenant, araignée, elle tisse, comme jadis, sa toile.»Une femme s'est faite araignée, piégée et piégeuse. De son ventre (de son sexe?), le fil sort; elle tisse une toile et ses victimes viennent se prendre.
Créant un tissu, Marcel Alocco est à la fois le tisseur, le tresseur et l’aveugle qui pénètre dans son propre piège. inconsciemment et consciemment, il se laisse envelopper dans le drap. Puis il se défend.

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Dans les tragédies, Clytemnestre enveloppe Agamemnon dans un voile, dans un filet. On le compare au filet des poissons, à un piège à bêtes fauves, à une toile d'araignée et Agamemnon enveloppé d'un «riche vêtement de malheur» est assassiné.


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Les résilles de Marcel Alocco sont des réseaux, des rets, des lacis, des filets. Il les trame, les ourdit par le châssis du métier à tisser et donc il réalise la couleur, la peinture.
Lesconstituants élémentaires de la peinture apparaissent: le châssis, le tissu à tendre, les couleurs (le blond, le brun, le roux).

Recherche des trames
Dans ses travaux, Marcel Alocco tricote; ou bien il rassemble les fils apparus lors d’un « détissage » de la toile; ou encore, il place, dans un livre cousu, l’aiguille même qui a servi à le coudre; ou aussi: (maintenant surtout) il tisse des cheveux. Il encadre ou n’entourre pas son oeuvre. Il clôture ou délivre, enchaîne ou détache, lie ou délie, délimite ou libère. Il cherhce le cadre ou l’hors-cadre; le réglé ou l’improvisé, l’illimité; le fini ou l’infini.
En 1974, Marcel Alocco se décrit lorsqu’il coud: « le tissu s ’étale sur mes jambes, forme un tas à mes pieds, et je me découvre comme le pêcheur travaillant de l’aiguille les voiles ou... les filets. » Que prend-il au piège avec de tels filets? Ce sont les images, le sens, le regard du spectateur, la vérité énigmatique de la peinture?
Lorsqu’il tisse les cheveux, il crée des oeuvres restreintes, resserrées. Il noue, maille, file, tisse. Puis il « dépose » les filets entre deux verres, les immobilises par le châssis, comme on dépose des armes, comme le piège n’est pas dressé, croirait-on. Et poutant une oeuvre artistique est un artifice, un leurre, une « machine », une ruse. L’oeuvre est un vitrail modeste.

Accroche-coeur
Marcel Alocco se souvient de son enfance: « Mon grand-père racontait, pendant qu’il m’apprenait à attacher les ameçons, qu’avant l’invention du nylon, il montait ses lignes de pêche, (les « boulintins »), en nouant bout à bout les crins de cheval et je crois me souvenir qu’il disait utiliser parfois de longs cheveux de femme tressés. Depuis que je travaillais avec des cheveux l’idée me trottait. J’ai eu envie de voir ce que pouvait donner une ligne construite avec des cheveux. Par analogie, la courbe de la mèche sur le front semblable au hameçon, j’ai retrourné l’image et nommé ces travaux, des petites manipulations artisanales archaïques, des « accroche-coeur » (l’Académie admettrait accroche-coeurs). Appellation cruelle. Ce sont des hameçons trop petits pour prendre un vieux coeur endurçi, mais petits hameçons, petites cicatrices tout de même. »

La soie
Gerhart Hauptmann, dans une pièce de théâtre, montre Hélène, un personnage principal, qui décrit ses cheveux (6): «Ma natte, en haut, est grossse comme mon poing... Et, quand je les dénoue, ils me descendent jusqu'aux genoux. Touchez voir: on dirait de la soie, non?» Alors, un jeune homme frissonne et pose ses lèvres sur les cheveux d'Hélène... Ou bien, pour Heinrich Mann, la lourde chevelure de Violante se dénoue et ruisselle, «haute vague soyeuse, tout au long de son corps». Rémy de Gourmont (Les chevaux de Diomède, 1897) compare les cheveux à de «belles cordes, douces comme la soie, fortes comme le chanvre». Marcel Alocco s’invente une soie séductrice.

Mouvements des cheveux
Leon Battista Alberti, grand architecte et théoricien, publie en 1435 De Pictura (7): « Tous les mouvements doivent être aussi dans la peinture ceux des choses animées. Bien exprimés, les mouvements des cheveux et des crinières, des branchages, des feuillages et des vêtements sont agréables dans la peinture. Je désire même que les cheveux exécutent des mouvements; qu'ils s'enroulent donc comme s'ils allaient se nouer, qu'ils ondulent dans l'air en imitant les flammes, que tantôt ils se glissent comme des serpents sous d'autres cheveux, tantôt se soulèvent de côté et d'autre...» Les trames de Marcel Alocco sont des mouvements, des circulations, des vagues, des flux enchâssés.

Théologie du cheveu
Le cheveu s'affirme. Il parle: « Cheveu , je veux!». Les oeuvres de Marcel Alocco sont les traces d’une divinité inconnue, lointaine, mais il n’en parle pas.


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Absalon, un des fils de David, s'enfuit après son combat dans la forêt. Il monte un mulet et le mulet s'engage sous la ramure d'un grand chêne et il reste suspendu avec ses cheveux entre ciel et terrre. Et le général Joab plante trois javelots dans le cœur d'Absalon... dans sa vie, quand il se rasait chaque année, il pesait sa chevelure: soit deux cents sicles, paraît-il environ trois kilos.
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Samson ne se coupe pas les cheveux et on le reconnait à sa chevelure flottante. Dalila endort Samson et appelle un homme qui rase les sept tresses de cheveux de sa tête et abolit sa force surnaturelle. Lorsque la chevelure de Samson a repoussé, il retrouve assez de force et exerce contre les Philistins sa vengeance.
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Dans Les chants de Maldoror (chant III) de Lautréamont, un étrange cheveu immense, épais se dresse dans la chambre d'un bordel. « La première et la seule chose qui frappa ma vue fut un bâton blond, composé de cornets, s'enfonçant les uns dans les autres. Ce bâton se mouvait! Il marchait dans la chambre! Ses secousses étaient si fortes, que le plancher chancelait; avec ses deux bouts, il faisait des brèches énormes dans la muraille et paraissait un bélier qu'on ébranle contre la porte d'une ville assiégée. (…) Ce bâton se roulait et se déroulait avec la facilité de l'anguille. Quoique haut comme un homme, il ne tenait pas droit (…) Et je vis que c'était un cheveu.»Sur le lit de la chambre, Dieu aurait peigné sa «chevelure parfumée». Il aurait abandonné un cheveu tombé à terre dans une chambre claquemurée. Et le cheveu espère «se replacer parmi les autres cheveux» (8).


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Max Ernst, Rêve d'une petite fille qui voulut entrer au Carmel (1930), cite les dialogues de Marceline-Marie, la petite fille, et d’une chevelure «majestueuse»: «La chevelure: "C'est pour mieux t'étrangler, mon enfant." Marceline-Marie : "Mais pourquoi, ma chevelure, pourquoi es-tu partout?" — La chevelure: "C'est pour mieux te mettre à ta place, mon enfant." Marceline-Marie: "Ma place est aux pieds d'un époux clément." — La chevelure: "Rêver, s'habiller et babiller le vendredi est malsain"» (9) Dans un collage une chevelure majestueuse devient la voile d'un bateau. Et on sait que Marcel Alocco a créé des collages,  des assemblages, des montages, des reprises.

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Marie-Madeleine lave les pieds de Jésus, les parfume et les essuie avec ses cheveux. Puis, dans le désert, nue, elle s'habille de ses longs cheveux.

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Au III° siècle avant J-C., Bérénice, fille d'un roi de Cyrène, épouse Ptolémée III. Pour obtenir le retour de son mari, sain et sauf, d'une expédition, elle consacra à Aphrodite une boucle de ses cheveux. Ces cheveux auraient disparu du temple où ils avaient été placés. L'astronome Conon de Samos affirma que les cheveux avaient été changés en astre et donna à une constellation le nom de "Chevelure de Bérénice". D'où un poème de Callimaque et sa reprise par Catulle. Les cheveux et le ciel étoilé nous fascinent.

Mythologiques
Claude Lévi-Strauss étudie divers mythes des Indiens du Nord de l'Amérique (10).
Les sœurs Papillons, qui volaient autour de l'arbre, attrapèrent un cheveu flottant dans l'air dont elles cherchèrent l'origine… Un cheveu ressuscite un homme… La Dame Plongeon, intriguée par un cheveu d'une longueur exceptionnelle qu'elle avait ramassé au bord d'un lac, découvrit qu'il appartenait à ce frère que, depuis longtemps, elle aimait…Les filles du vieillard Eté démêlent les cheveux embroussaillés de deux frères et les épousent… La maîtresse du feu volé par Lynx le tenait caché dans ses tresses, chacune formées de cinq bûches nattées… Pour se protéger du froid, le héros gelé en haut de l'arbre drape comme un manteau ses longs cheveux autour de son corps. La longue chevelure, vêture naturelle, s'oppose ainsi aux habits manufacturés, comme le cru au cuit, confirmant une fois de plus le passage du code alimentaire au code vestimentaire… Au printemps, un indien alla chasser les oiseaux avec une flèche d'où pendait une cordelette faite de cheveux féminins… Deux femmes cannibales cherchent vraiment à étouffer le héros sous des couvertures tissées avec des cheveux humains… Et les mythes de la peinture se racontent aussi.

Amours
Les cheveux au chevet. Les jeux des cheveux.


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Jadis, dans les églises, les femmes devaient cacher leurs cheveux avec une mantille, un voile, afin «de ne pas tenter les anges».


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Aux Etats-Unis, les blondes seraient plus sensuelles. En Europe (en Hongrie en particulier), les brunes seraient plus sensuelles.


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Pour se faire aimer, il suffit, dit-on, de prendre cinq de ses propres cheveux et trois de son (sa) bien aimé(e) de les jeter au feu en récitant une formule magique.


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Si les couturières mettent un de leurs cheveux dans l'ourlet de la robe de mariée qu'elles fabriquent, elles se marieront elles-mêmes dans l'année. Plus le cheveu est long, plus il est efficace. En 1956, des couturières parisiennes auraient mis leurs cheveux dans la robe de Grace Kelly pour le mariage avec le prince Rainier…


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Certains sorciers font un nœud avec les cheveux de personnes chez qui ils veulent faire naître l'amour.


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Au XIX° siècle, il était d'usage de porter dans un médaillon des boucles de cheveux de la personne aimée. Une jeune fille tresse à son amoureux une chaîne de montre avec ses cheveux blonds. Ce sont des bracelets et des bagues de cheveux.


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Naguère, une couturière défaisait, épingle par épingle la coiffure de la mariée. Mais c'était toujours à l'époux qu'il revenait d'ôter la dernière épingle, celle qui, d'un coup, dénoue les cheveux (11).

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Dans le roman de Chrétien de Troyes (XII°siècle), Cligès, une jeune fille, Soredamor, cousait une chemise de soie pour celui qu'elle aimait, Alexandre: «Avec le fil d'or, elle avait cousu, à certains endroits, un de ses cheveux, aux deux manches et à l'encolure, pour voir si un homme, particulièrement attentif, était capable de distinguer l'un de l'autre. Le cheveu blond brillait autant et plus que l'or (…) Le jeune homme n'aurait pas accepté d'échanger la chemise contre le monde entier; il l'aurait plutôt, à mon avis, considérée comme une sainte relique et il l'aurait adorée jour et nuit.(…) Le cheveu rayonnait de sa blonde clarté à mesure que le fil d'or perdait son éclat.(…) Toute la nuit, le jeune homme embrasse la chemise et, quand il contemple le cheveu, il se croit le maître du monde» (12).


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La mère, une tante et l'une des grands-mères de Marcel Alocco étaient couturières. Ont-elles cousu des tissus avec certains cheveux? Vers 10-12 ans, Marcel Alocco a passé des heures dans l’atelier de cette tante, où des jeunes femmes rieuses s’activaient. Il s’en souvient.

Magie
Au Japon, paraît-il, un peigne placé sur la tête est un moyen de communication avec les puissances surnaturelles.


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Pour réussir le Grand Oeuvre de la fonte des épées, un couple chinois s'offre en sacrifice au fourneau. Ils y jettent leurs cheveux et leurs ongles coupés.


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Les chaînes et les trames des cheveux de Marcel Alocco sont des charmes qui entraînent le corps. Pourtant Alocco lui-même ne veut pas être un « magicien ». Il se méfie de l’occulte, d’une magie ambiguë.

Jours fastes et non-fastes des cheveux
Une comptine populaire précise la coupe des cheveux: «Ne vous coupez jamais le dimanche,/pas plus que le lundi./ Coupez-les jeudi et vous ne serez jamais riche./ Cela vaut aussi pour le samedi./ Mais coupez-les le mardi et vous vivrez vieux,/ Plus encore si vous le faites le vendredi.» Marcel Alocco tisse toute la semaine et le dimanche.

Chance
Les anciens représentaient "l'Occasion" chevelue par devant et chauve par derrière. Lorsqu'on l'avait laissée passer, on ne pouvait plus la saisir par les cheveux.

Serpents
Méduse, les Furies, Charun (le dieu étrusque du monde souterrain) ont une chevelure de serpents, au lieu des cheveux.


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Pour le poète allemand Hugo Salus en 1903, le ruban des boucles d'une femme se dénoue et elle lance, rieuse, des « serpents bondissants» (13).

Végétation
Assez souvent, le feuillage est comparé à la chevelure. « Les palmiers en silence/ Sous le ciel embrasé penchent leurs longs cheveux»(Alfred de Musset).

Noblesse des cheveux
Pour les Romains, la Gaule chevelue est une partie de la Gaule où les habitants portaient de longs cheveux.


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Les rois francs ne devaient jamais faire couper leur chevelure; ils la gardaient entière depuis leur enfance. Tondre ces longues boucles qui leur flottaient sur les épaules aurait été de leur part renoncer au royaume… Les cheveux des prêtres aztèques pendaient jusqu'à leurs jambes si bien que le poids en devenait très encombrant… Les membres du clan des Massaïs qui passent pour posséder l'art de faire tomber la pluie, ne doivent pas se couper la barbe; car la perte de leur barbe entraînerait la perte de leur pouvoir sur les éléments (14).


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Au Chili, on observait la coutume d'enfoncer les cheveux coupés dans les trous d'un mur. Les Arméniens, paraît-il, cachaient leurs cheveux coupés, leurs ongles, leurs dents arrachés dans des endroits saints: dans la fente d'un mur d'église, dans la colonne d'une maison, dans le creux d'un arbre. Ils croyaient qu'ils auraient besoin de ces parties détachées du corps lors de la résurrection. Selon les vieilles femmes de quelques villages d'Irlande, tous les cheveux d'un homme (ou d'un femme) étaient comptés par le Tout-Puissant  et il devait en rendre compte le jour du jugement dernier(…) Au Maroc, les femmes auraient suspendu leurs cheveux à un arbre poussant près de la tombe d'un saint, croyant se protéger en même temps des maux de tête. Mais, dans le travail de Marcel Alocco, tout est dans la lumière, pour la matière, pour le sens, pour la clarté, pour l’utilisation, pour la technique du tissage.

Bizarreries
Dans le Grand dictionnaire du XIX° siècle, Pierre Larousse écoute un chiffonnier "érudit et philosophe" (15). Le chiffonnier vend des cheveux de femmes pour « se faire faire un fort joli chignon». Mais, « les cheveux d'hommes ne sont bons à rien, pas même à faire de l'engrais. On en a fait des matelas, mais on ne pouvait dormir dessus à cause de leurs extrémités qui pointaient au travers des toiles. On en a fait des paillassons, des filtres pour les sucres, les sirops, les liqueurs; mais, comme ils "feutraient" mal, on y a renoncé. Maintenant on les brûle, et ça sent fort mauvais.» Pierre Larousse cite un journal, Pall Mall Gazette: «Marseille est le plus grand entrepôt du commerce des cheveux humains; plus de 20.000 kilos de cette marchandise y sont annuellement importés (…) En Bretagne et en Auvergne, les marchands font la ronde les jours de marché. La jeune fille qui désire vendre sa chevelure monte sur une futaille, et là, dénouant sa coiffure, laisse tomber sa chevelure sur ses épaules. Des enchères animées s'engagent aussitôt(…) Les chignons de cheveux rouges ou d'un blond doré viennent principalement d'Ecosse et coûtent le plus cher.»
Pierre Larousse rappelle une prestidigitation, un truc intitulé L'enfant enlevé par le cheveu. Le prestidigitateur prend au bout de son doigt un peu de la précieuse pommade et il oint la chevelure de l'enfant. Ensuite il enlève l'enfant et le suspend à quelques centimètres au-dessus du parquet. Il passe, en réalité, dans une boucle fixée au dos de l'enfant, un crochet qu'il tient habilement dissimulé dans sa manche. Cette suspension se trouve naturellement cachée. On ne voit que la main de l'opérateur et le cheveu, ou du moins son apparence.

L'eau
Gaston Bachelard rêve l'eau et la chevelure; il parle d'un «complexe d'Ophélie» (16). Ophélie sera une chevelure flottante, une chevelure dénouée par les flots. Pour Paul Sébillot (17) les Dames des fontaines viennent se peigner sur leurs bords. Les sirènes du Gers ont des cheveux longs et fins comme la soie, et elles se peignent avec des peignes d'or. Dans un roman de Gabriele d'Annunzio, Forse che si, forse que no (1910), une jeune fille regarde son miroir:» ses cheveux glisssaient comme une eau lente et, avec eux, mille choses de sa vie, obscures, labiles entre l'oubli et le rappel.» Dans Séraphita de Balzac, des chevelures des anges «sortaient des ondes de lumière et leurs mouvements excitaient des frémissement onduleux semblables aux flots d'une mer phosphorescente»... Les trames de Marcel Alocco évoquent l’eau radieuse.

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Hugo Salus, poète allemand, dans la Célébration du Printemps (1905), est fasciné par le torrent des cheveux: «Délivre tes cheveux des rubans et des peignes, / Et laisse ruisseler leurs flots noirs en torrent.»
Dans Le crépuscule des idoles (1901), Peter Altenberg décrit le charme d'Anita: «Elle est belle comme Vénus sortant de l'onde qui, de ses blanches mains, presse tendrement les flots blonds de sa chevelure pour en exprimer les gouttes de mer restées prisonnières.(…) Ce pouvoir irradiait comme un courant d'électricité cosmique des flots blonds de sa chevelure.» pour Octave Mirbeau (Le jardin des supplices, 1899), les cheveux «entièrement dénoués» de Clara «ruisselaient sur ses épaules en ondes de feu». Pour Pierre Louÿs, dans les Chansons de Bilitis (1894), les prêtresses d'Astarté «peignent leurs chevelures, et leur mains teintes de pourpre, mêlées à leurs boucles noires, semblent des branches de corail dans une mer sombre et flottante». Il évoque la chevelure comme une «onde noire et chaude» ou comme un «ruisseau de parfums». Pour Rémy de Gourmont (Histoires magiques, 1894), des algues sont des cheveux, et les cheveux sont des algues (18).

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Léonard de Vinci met en rapport la diversité des vagues, des flots, des rivières et les ondulations des cheveux

Une mer de cheveux
Dans La révolution surréaliste (n°8, décembre 1926), un texte de Louis Aragon s'intitule : "Moi l'abeille j'étais chevelure"...Dans le même numéro, Antonin Artaud publie « Uccello, le poil». Il évoque un «mythe de poil»: «La tête sur cette table où l'humanité tout entière chavire, que vois-tu autre chose que l'ombre immense d'un poil.(…) Le ramage d'une mer de cheveux.(…) Les cheveux sont des langues (…) »


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Aragon, dans La défense de l'infini (19), décrit Irène qui « joue de ses mains tandis qu'elle se recoiffe, et leur image est bien blanche dans les cheveux. Il flotte autour d'elle un grand parfum de brune, de brune heureuse, où l'idée d'autrui se dissout.»


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Dans Le paysan de Paris (1926), Aragon décrit le passage de l'Opéra et, en particulier, des salons de coiffure (20). Un coiffeur «dénouera désormais tout le long du jour l'arc-en-ciel de la pudeur des femmes, les chevelures légères, les cheveux-vapeur, ces rideaux charmants de l'alcôve». Une chevelure est un «appareil subtil à caressses». On peut y «déchiffrer ces lacis où restait tout à l'heure un peu du désordre du sommeil». Les cheveux deviennent des serpents, «les anneaux lents et purs d'un python de blondeur». Louis Aragon les suggère: «J'ai mordu tout un an des cheveux de fougère. J'ai connu des cheveux de résine, des cheveux de topaze, des cheveux d'hystérie.» pour lui, une chevelure déployée a «la pâleur électrique des orages, l'embu d'une respiration sur le métal».


Chevelure de lumière
Dans Pelléas et Mélisande (1892) de Maurice Maeterlinck, au troisième acte (scèneII), à une des tours du château, Mélisande, à la fenêtre, peigne ses cheveux dénoués. Elle se penche lorsque Pelléas passe sur un chemin de ronde sous la fenêtre. Elle se penche davantage:» Je suis sur le point de tomber…Oh!oh! mes cheveux descendent de la tour.» Sa chevelure «se révulse tout à coup, tandis qu'elle se penche ainsi, et inonde Pelléas». Celui-ci caresse les cheveux :» toute ta chevelure est tombée de la tour(...) Les cheveux viennent de si haut.(.) Ils sont tièdes et doux comme s'ils tombaient du ciel. Je ne vois plus le ciel à travers tes cheveux et leur belle lumière me cache sa lumière.» Ils sont immenses et lumineux. Le livret de l'opéra de Claude Debussy (1902) modifie le texte du drame de Maurice Maeterlinck. Pelléas chante: «Tes cheveux, tes cheveux descendent vers moi!(…) Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche, je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou.(…) Je n'ai jamais vu de cheveux comme les tiens, Mélisande.(…) Ils m'inondent encore jusqu'au cœur; ils m'inondent encore jusqu'aux genoux. (…) J'embrasse tes cheveux. (…) Tu entends mes baisers le long de tes cheveux? Tes cheveux sont autour des branches.»


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La chevelure d'une comète est une traînée lumineuse qui la suit.


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En pyrotechnie, une "chevelure de feu" est une masse de petits serpenteaux qu'on lance à la fois.


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Les résilles de Marcel Alocco rayonnent, brillent, scintillent.

L'univers et la chevelure
Pour Marina Werner (21), en dépit de sa nature impassible, le cheveu est l'une des matières les plus sensibles de l'univers; on enregistre avec précision les changements de température et d'humidité grâce à l'hygromètre à cheveu. Marcel Alocco révèle des modifications du monde.

Toison et tison
Des réseaux, des résilles, des réticules, des filets roux chatoient, flamboient. Ils deviennent des lignes de sang et de feu, des signes de l'éclat, de l'igné. Ils sont des flambeaux. Ce sont les laves rougeoyantes des éruptions volcaniques, les coulées d'un métal en fusion. Une toison rousse devient un tison: l'embrasement, l'ardeur, l'incandescence.
Vous rêvez à un vers de Stéphane Mallarmé: «Tison de gloire, sang par écume, or, tempête», au coucher de soleil, pour le tragique et le triomphe. une chevelure et la flamme se mêlent: « La chevelure vol d'une flamme à l'extrême/ Occident de désirs pour la tout déployer» (22).
Vers 1900, la lueur fauve rayonne (23). Selon Thomas Mann, les lourds cheveux roux de Gerda, un personnage, «brillèrent un instant comme de l'or». Un poème d'O.J. Bierbaum (1901) souligne «l'incendiaire chevelure», une crinière enflammée. Rémy de Gourmont (Le songe d'une femme, 1899) décrit Anne «ébouriffée et d'un roux superbe de palissandre à reflets d'or: car le fond est presque noir et quand il fait sombre l'or s'amuit et s'évanouit».

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Guillaume Apollinaire admire une "adorable rousse":
«Ces cheveux sont d'or on dirait/ Un bel éclair qui durerait/ Ou ces flammes qui se pavanent/ Dans les roses thé qui se fanent.»

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Cyrano de Bergerac (24) fait l'éloge d'une rousse séduisante: « Une belle tête, sous une perruque rousse, n'est autre chose que le Soleil au milieu de ses rayons.(…) De tous les astres, le Soleil n'est le plus considérable que parce qu'il est plus roux.»

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Telle femme rousse est une renarde... Certaines bêtes fauves sont parfois appelées bêtes rousses.

Or


Selon la Bibliotheca d'Apollodore, une compilation de mythologie, la fille du roi de Mégare, amoureuse de Minos, arrache un cheveu d'or (ou un cheveu de pourpre) du roi et le tue. La fille du roi de Taphose, amoureuse d'Amphitryon, arrache le cheveu d'or du père, auquel sa vie était attachée, et meurt. Dans un conte populaire grec moderne, la force d'un homme réside dans trois cheveux d'or sur la tête; et, si sa mère les lui arrache, il devient peureux et faible. A Nias, île de l'ouest de Sumatra, un chef a sur la tête un cheveu aussi dur qu'un fil de cuivre et sa vie est liée à ce fil. En Europe et ailleurs, l'âme ou la force d'un homme (ou d'une femme) serait liée à sa chevelure. L'inquisiteur Sprenger rasait la tête de ceux ou de celles qu'il soupçonnait de sorcellerie. Dans divers pays, on rasait la tête des sorciers et des sorcières, on attachait leur chevelure à un arbre ou on enterrait dans le sol une mèche de cheveux (25).

L’Hérodiade de Stéphane Mallarmé évoque la princesse stérile, désolée. Elle « aime l’horreur d’être vierge ». Elle « veut vivre parmi l’effroi que [se] font [ses] cheveux ». Elle murmure à la Nourrice: « Le blond torrent de mes cheveux immaculés,/ Quand il baigne mon corps solitaire le glace/ D’horreur, et mes cheveux que la lumière enlace/ Sont immortels. » L’or des cheveux est immortalité et meurtre. L’or est « à jamais vierge des aromates » dans les « éclairs cruels » et dans les pâleurs mates ». Jean-Pierre Richard (L’univers imaginaire de Mallarmé, Seuil, 1961, p.173sq.) analyse Hérodiade. La Vierge brûle de chasteté. Elle met une ardeur extrême à prouver à elle-même sa froideur. Elle est une « héroïne de la réflexion ». Ses cheveux sont à elle, mais ils ne sont elle tout à fait. Comme le miroir se forme en gelant une eau courante, la chevelure-fleuve se glace, se métallise.

Mémoire
Les cheveux sont le temps perdu et retrouvé. Guillaume Apollinaire, dans Calligrammes, rêve sur des cheveux châtains: « Il retrouve dans sa mémoire/ La boucle de cheveux châtains/ T'en souvient-il à n'y point croire/ De nos deux étranges destins (…)/ Il y tomba comme un automne/ La boucle de mon souvenir.» (26)
Une autre boucle revient: « La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor».
Les cheveux de la Loreley sont blonds: « Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés (…)/ Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley/ Sur ses yeux couleur du Rhin ses cheveux du soleil.»

Parfums
Dans de multiples textes, la chevelure des femmes a une «odeur animale puissante».
Aristide Bruant glorifie Nini Peau d'chien:  « Elle a la peau douce, Aux taches de son A l'odeur de rousse Qui donne un frisson (…) Quand le soleil brille Dans ses cheveux roux L'génie d'la Bastille Lui fait les yeux doux.»

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Dans les Petits poèmes en prose de Baudelaire, dans Un hémisphère dans une chevelure (27), les cheveux suscitent le parfum, la musique, mes voyages, les langueurs, mes rêves: «Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source (…)  Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique. Tes cheveux contiennent tout  un rêve, plein de voilures et de mâtures (…) Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un pont fourmillant de chants mélancoliques (…). Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs de longues heures (…). Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlée à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure je vois resplendir l'infini de l'azur tropical, sur les rivages duvetés de ta chevelure, je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et le l'huile de coco.» Vous mordillez les cheveux: « Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.»
Dans son poème, La chevelure, Baudelaire évoque le « parfum chargé de nonchaloir», des «souvenirs dormant dans cette chevelure», une «forêt aromatique», une «mer d'ébène», un «éblouissant rêve de voiles, de rameurs, de flammes et de mâts», un «noir océan», des «cheveux bleus», un «pavillon de ténèbres tendues», les «bords duvetés (des) mèches tordues», une «crinière lourde».


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Grâce à une trame de Marcel Alocco, vous pouvez imaginer le parfum individuel d’une donatrice, la fragrance unique, une jouissance, le bonheur. 

Il a été tiré à l’automne 1999 de

Dons et textures
pour Marcel Alocco
logique et mythologie du cheveu
de Gilbert Lascault

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250 exemplaires numérotés de 1 à 250
comportant chacun un
« nouages de cheveux » original
portant le nom de la  donatrice et signé par l’artiste

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Je remercie ici toutes les donatrices
qui depuis 1995 ont permis mon travail à partir de leurs cheveux
et particulièrement
Hélène L.A.   Marine N.  Stéphanie C.  France R.
Cindy A.  Marie-Hélène F.  Iris U. A.  Magali S.  Julie S.
Emma M.V.  Chloé M.V. et Valérie M.
dont les cheveux en « nouages »
aujourd’hui accompagnent ce livre.
Marcel A.

éditions Voix Richard Meier
© Gilbert Lascault/Marcel Alocco/Richard Meier
dépôt légal 4° trimestre 1999

 

1. Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1973, p.163,164, 206, 269.

2. Cf. Claude Quiguer, Femmes et machines de 1900, Klincksieck, 1979, p.120.

3. Sigmund Freud, Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Gallimard, coll. Idées, 1971, p.174. Avec un mélange d'impudeur et de timidité, Freud propose  des suggestions sur l'origine du tissage.

4. Homère, L'Odyssée (Chant XXIV, v.128 sqq)

5. Ovide, Les métamorphoses (livre VI, v.1 sqq)

6. Cf Claude Quiguer, Femmes et machines de 1900, Klincksieck 1979, p.113,124.

7. Alberti, De la peinture (De Pictura), Macula/Dédale, 1992, p.187.

8. Lautréamont, Oeuvres complètes, Librairie Générale Française, 1963, p.199, 200, 213.

9. Max Ernst, Ecritures, Gallimard, 1970, p202,203.

10. Cl. Levi-Strauss, L'homme nu, Mythologiques, tome IV, Plon, 1971, p.44, 57, 113, 165, 282, 347-8, 362, 464.

11. Yvonne Verdier, Façons de dire, façons de faire (la laveuse, la couturière, la cuisinière), Gallimard, 1979, p.251.

12. Chrétien de Troyes, Cligès, v.1158-1194, 1563-1564, 1634-1636:Oeuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p.201, 210, 212.

13. Cf. Claude Quiguer, Femmes et machines de 1900, Klincksieck, 1979, P.119.

14. James George Frazer, Le rameau d'or, Robert Laffont, Bouquins, 1981, T.1, p. 632, 633,644,645.

15. Pierre Larousse, Grand dictionnaire universel du XIX° siècle, Paris, Administration du grand Dictionnaire Universel, tome IV, p.63-64.

16. Gaston Bachelard, L'eau et les rêves, librairie José Corti, 1942, p.113 sqq.

17. Paul Sébillot, Le folklore de France, Maisonneuve et Larose, 1968, T.II, p.200, 340.

18. Cf. Claude Quiguer, Femmes et machines de 1900, Klincksieck, 1979, p.114, 115, 116.

19. Aragon, Oeuvres romanesques complètes, T.I, Gallimard, Bibliothèque de la PléIade, 1997, p 473.

20. Aragon, Le paysan de Paris, Le livre de poche, 1966, p.50, 51, 52.

21. Marina Werner, "Le vil et le vigoureux, la toison et le poil: des cheveux et de leur langage", Fémini-masculin, le sexe de l'art, catalogue, Gallimard:Electa, 1996, p.3O3-311.

22. Stéphane Mallarmé, Oeuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la PléIade, 1951, p.68, 53.

23. Cf. Claude Quiguer, Femmes et machines de 1900 (lecture d'une obsession "Modern style"), Klincksieck, 1979, p.35, 112.

24. Cité par Xavier Fauche, Roux et Rousses: un éclat particulier, Gallimard, Découvertes, 1997, p.81. L'artiste Josiane Guitard-Leroux travaille ses propres cheveux roux. Ils naissent en une géométrie instable, modifiée par des oscillations, par des vibrations. Il deviennent des écritures broussailleuses, ébouriffées. Ils s'enroulent ssssur de petites bobines, sur des fusettes… J'ai publié un texte sur Josiane Guitard-Leroux au Salon de la Jeune peinture (1998).

25. James George Frazer, Le rameau d'or, T.IV, Robert Laffont, 1984, p.255, 282, 287.

26. Guillaume Apollinaire, Oeuvres poétiques, Gallimard, Bibl. de la PléIade, 1956, p.248, 261, 115-6.

27. Charles Baudelaire, Oeuvres complètes, Seuil, 1968, p.158-9, 56.

 

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