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« Des écritures en Patchwork » Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985 Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain Amiel, à Nice en 1987
9. Les rédacteurs de la revue CHORUS(1) dont le premier numéro vient de paraître, ont choisi de se définir sur le thème de la « sensibilité 68 ». Tenter de saisir la sensibilité actuelle, plutôt que de poser les problèmes de l’esthétique (ou de l’expression) en gestation, traduit déjà un certain désarroi, lequel s’affirme quand Pierre Tilman va jusqu’à déclarer : « Je voudrais que l’artiste s’applique à dire la vérité, ce qu’il voit (les autres), ce qu’il ressent (le désespoir), en toute lucidité, sans se référer aux critères extérieurs : ce qu’il convient ou ne convient pas de dire ». Passons sur ce qu’il y a de naïf à induire en sentiment général son propre sentiment, et constatons que ce désespoir dont il nous est fait obligation n’est pas si profond cependant qu’il ne songe à construire. Et d’abord cette revue qui se place sous le signe du constat, et puis, très contradictoirement, une œuvre, puisque tous les rédacteurs nous sont connus comme poètes, romanciers, peintres, etc. : l’éditorial est composé de trois photos exprimant l’urbanisation concentrationnaire, la publicité et la consommation, et le peintre avec lequel il est convenu ici de se sentir en accord est Peter Klasen, producteur d’une figuration de style publicitaire, à la frontière du narratif, à la technique imitée du collage, qu’en dépit de la froideur d’exécution et des déclarations du peintre (exemple : « Ce qui m’intéresse, c’est l’effacement de toute écriture personnelle ») ses amis de chorus persistent, à tort me semble-t-il, à vouloir rattacher au mouvement Pop’. Cependant on lit que « CHORUS doit mettre au clair une esthétique
de combat et de recherche », ce qui montre d’évidence
l’opposition entre les choix significatifs d’une sensibilité (de
constat) et la volonté d’une activité artistique
de combat. D’ailleurs, l’enquête sur le thème « sensibilité 68 »obtient
de Pierre Della Faille (optimisme modéré de lucidité)
Stockhausen (quincaillerie mystique)
Michel Croce-Spinelli (qui propose de dominer une « sensibilité hâtive » par
un art sous-tendu de sociologie), et Pierre Gaudibert (observateur bien
placé), des réponses suffisamment divergentes pour donner
l’impression que la sensibilité de notre temps peut être
interprétée. Impression que confirment les poètes
(bien et sobrement présentés par Franck Venaille) qui illustrent
en ce premier numéro l’option de CHORUS : Guy Bellay
d’une part, précis, lisse, presque froid, dont le ton fait
songer à P-J. Toulet, et qui s’accorde sans heurts au style
de Klasen ; de l’autre, Daniel Biga (2), poète à l’état
sauvage, dont on pourrait dire, mais à son avantage, que ne sachant
pas écrire, il invente sa langue à mesure pour les besoin
de ses causes – Biga qui, même si entravé par
l’ambiance érotico-publicitaire à laquelle il semble
trop sensible ne parvient que rarement à sortir du constat plaintif
pour faire de son poème l’outil de combat auquel semble
rêver tant d’autres Tilman, est l’un des quelques poètes
de sa génération à avoir su créer un ton
neuf tout en conservant les technique du vers libre de la poésie
traditionnelle (3).
P.C.A. n°66, 23 décembre 1968 |