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« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985
en divers périodiques ou catalogues
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
25.
Remarques à propos
(de Chaissac, Hantaï, Arman, le second métier)
1. Gaston Chaissac
Présentant le bibliographie de Chaissac (Catalogue « Musées
de Nice », mai-juin 1976), Charles Soubeyran note qu’à propos
de certains documents « on sera sans doute amené à se
poser de nombreuses questions tant sur Chaissac que sur la façon
d’écrire l’histoire de l’art ».
On sait, encore que cal soit plus souvent conversé qu’écrit,
l’implication marchande dans les partis-pris critiques qui construisent
au jour le jour l’histoire apparente et provisoire de l’art
contemporain, composant directement ou indirectement les vitrines-galeries
mais aussi, hélas, nos rares musées…
Réflexion de G. Chaissac citée par Cl. Fournet : « Je
n’ai pas le don de mener à bien, de savoir m’y prendre
avec les autres et on ne sait pas s’y prendre avec moi. Parce qu’il
y a des requins, je ne puis du reste prétendre, dans le monde
des arts plastiques, occuper la place que je mérite ».
Brève lumière sur l’aspect socio-psychologique qui
enrobe aujourd’hui encore, me semble-t-il, les tractations mercantiles… Phrase
de gêneur auquel on pardonnera difficilement. Aussi bien il semblerait
que ce travail initiateur probable d’une œuvre à la
fortune plus heureuse, travail émouvant et perspicace jusque dans
ses naïvetés (« essai » sur le thème
d’un Mondrian, dessins d’après reproductions de gravure
rupestres…) n’ait pas encore été justement
reçu.
Là n’est pas le but de ce court papier, et d’ailleurs,
pour un peintre, réfléchir sur une exposition ne saurait
donner lieu — comme on imagine que ce devrait être pour le
critique et historien — à une analyse tendant à l’objectivité.
Cette réflexion engage, sinon par rapport à une position
théorique clairement conçue, du moins en fonction d’une
situation et d’une pratique personnelle.
Il est donc évident que le regard rétrospectif sur son
propre travail, comme le perspective de sa continuation, interviennent
plus ou moins sur la manière dont une œuvre est perçue :
abruptement, comme peintre, m’intéresser à une exposition
de Hantaï, d’Arman ou même de Chaissac, c’est
aussi bien éclairer mon origine qu’alimenter mon devenir.
Et ces lignes, trop rapides pour être suffisamment nuancées,
n’en sont que traces superficielles — et façon personnelle
de poser la question de savoir comment aujourd’hui s’écrit
l’histoire de l’art.
6 août 1976.
2. Simon Hantaï
Un philosophe et néanmoins humoriste du XVIII° siècle
remarquait qu’un décret du gouvernement ne pouvait annuler
la gravitation. En intitulant, cette année deux expositions collectives « Toiles
sans châssis » et « Toiles libres » les
organisateurs ne paraissent pas en avoir tenu compte, car ce qu’ils
soulignent ainsi est un effet, sans aucun doute spectaculaire, mais qui
ne repose pas sur une analyse des travaux montrés, au demeurant
si divers qu’ils sont parfois contradictoires.
Mur et sol sont au châssis un substitut qui fait de ce complexe
de bois un élément de présentation non déterminant.
Cependant, l’absence de châssis au moment du travail est
un facteur important du choix de l’état plastique du tissu
mis en œuvre, état plastique qui, lui, peut être déterminant
en autorisant l’intervention d’actions différentes :
coupures, pliures, remontages, etc…
Jackson Pollock, travaillant à partir de 1947 la surface de la
toile étendue sur le sol en « dripping »,
et découpant après coup la portion de son choix dans la
surface traitée sans tenir compte des limites de départ,
ni de celles qui seront tracées à postériori (all
over), met en jeu l’absence provisoire de tension par le châssis
sur des toiles qui seront ensuite montées sur châssis.
De même, à partir de 1960, en France, S. Hantaï (dont
on a pu voir en juillet une exposition significative à la Galerie
Maillard à Saint-Paul, tandis que le Musée National d’Art
Moderne présente une rétrospective) travaillant la toile
en boule, par froissage ou par pliages, tirait la conclusion logique
du « alla over » — dépassement du
problème de la continuité de l’écriture — préservant
par un état plastique propre au matériau employé,
la toile, le blanc, le blanc dans les plis.
Peu importe que la toile une fois peinte soit mise sur châssis
ou au mur : elle a été le propre instrument de sa
transformation combinant, comme l’écrit Jean Clair, « la
subjectivité de l’auteur à la neutralité de
de cela qui parle par derrière, comme
en réserve alors même que l’auteur parle, la maîtrise
d’un procédé à l’aveuglement d’une
création… »
A penser leurs pratiques en fonction de l’objet-châssis et
non par des concepts opératoires comme par exemple « état
plastique », « tension » ou « dé-tension »,
beaucoup de ceux qui ont cru que pour eux les travaux de Pollock et de
Hantaï ouvraient des voies, se sont condamnés à simuler
des effets : ce qui, tous comptes faits, est aussi une définition
de l’art pompier.
13 août 1976
3. Arman
En décembre 1975, la galerie Sapone, à Nice, présentait
d’Arman des œuvres picturales dont l’outil principal
d’application est le violon. Cette pratique anecdotique pourrait,
par comparaison avec certains travaux récents, susciter quelques
critiques— il y en a eu !— si on percevait mal,
poursuivie depuis une vingtaine d’années, une démarche
plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
Il faut se souvenir que vers 1958, peut-être non sans rapport avec
la rencontre, au Japon, de pratiques traditionnelles et la découverte
de l’activité du groupe Gutaï, Arman aborde les « répétitions » de
cachets : comme le pinceau, le cachet est conçu pour laisser
une inscription, mais à l’opposé, l’un tend à la
malléabilité maxima qui neutralise l’instrument tandis
que l’autre marque dans l’empreinte aussi précisément
que possible son identité, objectivant celui qui agit.
Apparaît ainsi, avec « l’image », un
aspect anecdotique qui persiste dans les « allures d’objets ».
Mais alors l’outil entre dans l’œuvre, montré avec
sa trace : il est bien sûr violon, statuette, mais il est
surtout n’importe quel objet, c’est-à-dire avant tout
rapport objet-outil à sa trace.
Sans doute Arman va-t-il, en 1959, sauter le pas, et après être
passé du peint au rapport « peint-outil »,
déplace encore le regard pour ne plus voir que l’outil : à remarquer
qu’on atteint en ce moment, comme en passant, une limite :
accumulation de tubes de couleur écrasés par lesquels la
peinture devenant objet, la couleur, le peint et l’outil se confondent
totalement — œuvres où les instruments (pinceaux,
spatules, encres de Chine, fioles de solvant, etc…) sont utilisés
comme couleurs…
Car la démarche d’Arman, vue principalement comme « appropriation
de l’objet » et volonté « de donner
au langage de l’objet un vocabulaire stylistique » (Anne
Tronche), n’exclue pas une réflexion picturale ancienne
et constamment sous-jacente. Qu’on songe au postulat initial identifiant « accumulation » et « monochrome » : « Le
côté obsessionnel et profératoire de la multiplicité d’un
objet rend pareil à une granulation unie » (Arman,
Zéro, volume 3, 1960).
On voit donc que les pratiques actuelles mettant en jeu la matérialité du
support et de l’outil, ne sont pas aussi étrangères
qu’on le prétend un peu hâtivement à un contexte
que les jeunes artistes ont perçu, même s’ils ont
souvent volontairement ou non refusé de la penser. Non qu’il
s’agisse là de conservation simple d’un héritage :
quoique sans coupure, la transformation est souvent très profonde,
et il y a loin des « Allures » à, par exemple,
la pratique radicale du rapport outil-geste-couleur à laquelle
est parvenu Miguel.
Il ne s’agit pas de dire qu’un artiste naît de la filiation
directe ou indirecte d’un maître : il n’en serait
qu’un ombre plus ou moins pâle. Les effets de connaissances
sont pleins de détours difficiles à repérer, les
impacts culturels les plus évidents souvent mal vus, même
et peut-être surtout de celui qui les reçoit… Encore
une fois, la réflexion revient à la façon dont s’inscrit
l’histoire de l’art… et à celle dont elle s’écrit,
différente, semble-t-il comme à travers un prisme qui ne
serait pas innocent.
27 août 1976
4. Le second métier
« Il faut penser AUX EXTREMES, entendons dans une
position où l’on énonce des thèses limites,
où, pour rendre la pensée possible, on occupe la place
de l’impossible. »
Alors qu’il ne parvient qu’avec difficulté le plus
souvent, quand il y parvient, a obtenir l’exercice d’un second
métier qui, à titre permanent ou épisodique, permette
sa survie, l’un des rêves de tout artiste est de chasser
de sa vie la nécessité de tout métier. Ce qui paraît
totalement légitime dans une société où l’argent
est le symptôme ; sinon de la qualité et de sa reconnaissance,
du moins de la réussite. Les récents débats qui
ont permis le regroupement de nombreux artistes au sein du mouvement
des « Arts Plastiques Méditerranéens » (1)
et annoncent un regain d’activité, ont confirmé ce
désir.
On peut cependant s’interroger sur le bien fondé de ce statut
souhaité pour une activité productrice de connaissance :
n’est-ce pas la persistance d’une image romantique, celle
de l’artiste isolé pour et par sa création ?
Précisons qu’il s’agit pour moi, individu, par un
discours sans préten,tion à la science, et quitte à ma
faire l’avocat du diable, de mettre en questioin une solution préconisée
comme évidente, en évitant d’entrée les vaines
polémiques sur de faux problèmes.
Pour quelqu’un qui, comme c’est mon cas, estime que l’activité artistique
est en soi un enseignement, donc lié, de fait, à une pédagogie
et par conséquent inséparable d’un rapport aux autres,
le problème du second métier se pose déjà en
termes plus précis : celui des modalités par lesquelles
la connaissance sera transmise (une fois l’exposition admise comme
nécessaire mais insuffisante). On voit le « glissement » qui
s’opère ici, concevoir que l’artiste doit garder une
intégration sociale qui garantisse la communication et participer
ainsi à l’enseignement de sa pratique de façon telle
que cet enseignement soit partie intégrante de son métier
et non « second » métier : soit directement
en entrant dans le système de l’Education nationale (où existent
d’énormes besoins non satisfaits) soit directement en s’employant
dans des activités de groupe : éditions, spectacles… etc.
Nous sommes en fait aujourd’hui, lorsque cela se produit, ce qui
est la cas que d’une partie d’entre eux, plutôt en
présence de la solution inverse, l’enseignement étant
le plus souvent le seul métier reconnu de la plupart, lesquels
se trouvent dans la difficile position du professeur qui tente d’avoir
une activité artistique personnelle (2) ou à l’opposé,
s’il jouit d’une certaine notoriété, mis par
le système en position mandarinale – quelle que soit son
attitude personnelle avouée— artiste qui « consent » à avoir
des élèves que les contraintes publicitaires transforment
en disciples sacrifiés à la désignation de la gloire
du maître : toujours cette écriture de l’Histoire
de l’ART à la surface des rapports individuels, attentive
surtout aux événements commandés par la marchandise
artistique et masquant ainsi les éventuels apports de connaissance.
Patriote Côte d’Azur, août 1976 (en
4 livraisons)
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