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Ecritures en patchwork
 
 

 

 

« Des écritures en Patchwork »

Textes de  Marcel ALOCCO  parus de 1965 à 1985
 en divers périodiques ou catalogues

Publiés en recueil par les « Z’Editons »  d’Alain Amiel, à Nice en 1987

 

24.
Vitrines à Paris

 

La IXième Biennale de Paris (1), seule manifestation française pour l’art en train de se faire, régulièrement organisée et ayant une véritable importance nationale, possède les défauts de ses qualités : réservées aux artistes de moins de 35 ans, elle présente des œuvres encore très mobiles (« l’art en pleine gestation », écrit dans le catalogue, Georges Boudaille) mais dont la variabilité trahit parfois les incertitudes. Ainsi, on voit le Gallois Barry Flanagan, qui en 1967, aux Biennales de Paris et de Tokyo, imposait des sculptures « minimales » montrer ici une vingtaine de dessins à la déconcertante facture matissienne…
On pourrait aisément contester la sélection et c’est, tous les deux ans, le jeu de massacre favori de bon nombre de critiques, chacun ici à la recherche de sa déjà ancienne obsession ou de sa toute neuve marotte, manifestant de la sorte, peut-être, leur dépit de n’être pas des douze sélectionneurs, à moins qu’ils ne posent ainsi, bien indirectement, leur candidature au futur jury… Contentons-nous donc de dire que l’ensemble, avec ses manques et ses ratés, donne une image assez fidèle des deux dernières années d’activité de l’avant-garde, avec cette restriction qu’il est question de celle qui s’est affirmée durant cette période dans les galeries, plutôt que de celle qui a pris naissance.
Mon objectif, dans ces lignes, n’étant pas de doubler les comptes-rendus qu’on a pu lire dans la presse nationale ou qu’on trouvera dans les publications spécialisées, je me bornerai à fournir, sur le sujet et hors du sujet (comme écrivaient en marge nos maîtres), quelques remarques fort subjectives d’un peintre provincial occasionnellement venu lécher vitrines à Paris.
Il importe sans doute de relever que la France compte douze sélectionné, sur cent vingt participants, dont cinq sont niçois : proportion qui révèle l’importance prise par notre région dans la nouvelle peinture, importance qui, si elle parvient à se manifester ponctuellement dans quelques galeries (2), n’apparaît en rien dans les organisations locales.
Noël Dolla qui, dans le cadre de la Biennale, montre trois grandes toiles coupées et remontées en quarts, brunes et très strictes, expose simultanément en galerie quatre volets de son travail menés de front : tarlatanes teintes, toiles coupées, bois travaillés à la feuille d’or brossée (sans doute la part la plus surprenante et la plus originale de ce qui est montré) et enfin une importante série de papiers (3). Signalons, en passant, parce que l’accrochage de la Biennale les pose en voisins, mais surtout parce qu’on a pu voir son travail il y a un an chez Ben, et dans le cadre du Festival de Cagnes cet été, les toiles fortement architecturées de Jean-Pierre Pincemin, dans lesquelles la couleur joue de transparences et de matières. Bernard Pagès poursuit ses travaux sur les matériaux mixtes par des séries dans lesquelles deux portions de poutres sont jointes par un manchon de briques et agglomérés pris dans le plâtre.
Les trois autres niçois démontrent la variabilité des œuvres en cours dont nous parlions plus haut. Pour Louis Chacallis, c’est une rentrée : depuis la précédente Biennale de Paris (4), il n’avait rien montré. On connaissait de lui les boîtes d’études de matériaux, les grandes toiles imprimant leur propre image… Le voici donnant ses « indiens », cent vingt personnages de 25 cm à 1,80 m, dans lesquels on peut retrouver les préoccupations du matériau et de la couleur, mais inscrites dans les corps. Vivien Isnard rompt avec sa longue production de toiles rayées, taillées et remontées, en présentant des travaux récents plus lyriques où, dans les taches et les traces on peut percevoir la gestualité du peintre. Les quatre toiles exposées montrent, dans leur différences, que le peintre, abordant une nouvelle phase, tâtonne… et l’avoue. Impression encore plus nette d’un  travail qui s’amorce dans la peinture d’André Valensi, lequel tente d’inscrire des différences de profondeur à naître de la juxtaposition de couleurs saturées : on regrette, pour l’instant, l’assurance et la rigueur des précédents travaux (5), en attendant de voir plus tard, peut-être, quelques versions davantage abouties.
Pour terminer avec le Biennale de Paris, signalons qu’elle abrite, dans le Palais Gallièra, 78 peintres des « peintres paysans du district de Houhsien » (République populaire de Chine). Encart insolite dans la conception occidentale de « l’avant-garde ». Peintures généralement empreintes d’un certain académisme, qui n’apprendront pas grand-chose à qui en a vu les reproductions — c’est dire la pauvreté du travail proprement pictural. Ici et là, cependant, quelques lueurs, une certaine naïveté, une fraîcheur de vue : mais cet ensemble est à regarder avec d’autres yeux, d’autres valeurs…
Et puis, parallèlement à la Biennale, les manifestations annexes, quarante environ, dans les galeries parisiennes, dont les vernissages s’étalaient sur une période allant du 16 septembre au 15 octobre. C’est en flânant d’une galerie à l’autre que j’ai découvert, dans l’accrochage une fort belle toile dans laquelle se mêle peinture et dessin de Joël Frémiot, dont j’aimerais voir davantage le travail — à Nice, pourquoi pas ? Et pourtant… sa participation à la Biennale de Paris en 1973 n’était pas des plus convaincantes. Alors, la Biennale de Paris ? L’occasion publique pour un « jeune » artiste d’un bon… ou d’un faux pas.

  1. Dans les musées d’art moderne de Paris et le Palais Galliéra.
  2. Principalement les galeries Sapone, Ferrero et boudin à Nice ; les galeries A. De La Salle et Maillart à Saint-Paul-de-Vence.
  3. Galerie Piltzer. Paris 4°.
  4. EN &973 : avec le Groupe 70, composé de Chacallis, Charvolen, Isnard, Maccaferri, Miguel.
  5. Montrés notamment à Nice chez Ben, galerie « La fenêtre », et à Paris galerie D . Templon.

 

Patriote Côte d’Azur  17 octobre 1975

 

 

 

 

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