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« Des écritures en Patchwork »
Textes de Marcel
ALOCCO parus de 1965 à 1985
en divers périodiques ou catalogues
Publiés en recueil par les « Z’Editons » d’Alain
Amiel, à Nice en 1987
17.
Groupe 70
8ième Biennale de Paris
L’observation du devenir des groupes dans l’avant-garde
en France révèle que depuis des années l’actualité a été traversée
par de brefs rassemblements tapageurs mais circonstanciels, dont les
prises de positions, pour ceux d’entre eux qui ont laissé quelques
traces, étaient trop fondamentales pour définir une solidarité trouvant
dans le groupe des limites suffisantes : les contradictions internes
comme les affirmations extérieures rendaient au bout de quelques
mois l’éclatement inévitable. Cependant, depuis trois
ans, le Groupe 70 fonctionne en persistant dans sa composition initiale.
Sans doute n’est-il pas sans importance que le Groupe se soit constitué en
province, sur un territoire défini, loin de la tentation de courir
les galeries et les variations de modes que reflètent les vernissages.
Il faut noter qu’à partir de 1968 les échanges individuels,
les collaborations partielles, les participations concertées à certaines
manifestations avaient créé des liens, conduisant les cinq
artistes (en mars 1970) à estimer leurs convergences d’options
plus fortes que certaines divergences apparentes ou réelles de
leurs travaux. La décision d’unir leurs sorts apparaît
donc davantage comme le désir de multiplier leurs chances d’avancées
en commun que deux années d’échanges ont mises en évidence,
que l’affirmation a priori d’une unité toujours un
peu utopique dans la pratique, quelle que puisse apparaître au
bout de ce délai assez long l’inextricabilité des
influences réciproques. Le fonds commun au Groupe, c’est
d’abord, bien entendu, celui que possèdent tous les peintres
de la génération qui s’est déterminée
après la percée en Europe du Pop’ américain
et du Nouveau Réalisme et en position critique face à ces
mouvements : fascinés dans un premier temps par Pollock et
Rothko, par - ici plus mal connus - Barnett Newman et Ad Reinhardt, réceptifs
aux travaux de Hantaï, aux positions de Parmentier, aux analyses
de Buren, attentifs aussi aux études de Pleynet et aux productions
en cours. Mais c’est, plus particulièrement, la mise en
place d’une pratique tenant compte du rapport de l’état
plastique à l’inscription pigmentée, mettant en évidence
le concept de (Dé-) tension, tandis que la pratique de l’inscription
pigmentée comme différence ou comme repère ne laisse
guère place aux pulsions provoquées (crypto-surréa1istes)
tout en acceptant les inévitables bavures que commande la matière
dans la pratique picturale, bavures que d’autres effacent ou répriment.
Louis Chacallis avait produit une série d’analyses sur le
comportement des supports : ainsi une fibre devenait tissu, ficelle,
projetait sa texture sur un autre support par imprégnation d’un
pigment, se répétait dans sa photo à l’échelle :
un bois brut devenait planche, copeaux, sciure, empreintes et photos
de ces états... La couleur était établie comme différence
dans un support imprégné (teint) juxtaposant les teintes
en un dégradé très modulé, tandis que le
pigment était traité, toujours en modulant un dégradé,
sous des formes diverses : sachets de poudre, flacons de liquide,
divers supports imbibés ou recouverts... Il devenait alors logique
d’envisager méthodiquement les hypothèses possibles
mettant en jeu une inscription pigmentée (signe-peint rectangulaire)
et un support tissu dans des états plastiques variant : pliages,
froissages, découpages, démontages (fil par fil), clouages,
parcellisations, permutations des éléments, réactions
aux colorants liquides, à la destruction (brûlures), etc.
Chacune de ces manipulations se situe par rapport à une inscription
repère invariable, premier temps du travail qui se répète
dans la première des quatre (ou six ou huit...) cases que comprennent
les boîtes dans lesquelles se présente chaque expérience,
les trois autres présentant deux temps successifs de la modification
plastique et le résultat de l’opération. Ce livre
- il comprend déjà plus d’une trentaine de boîtes/
pages - en raison de la répétition méthodique du
processus, de la variation systématique du traitement plastique,
du format de chaque tissu travaillé (quelques centimètres
carrés seulement), apparaît d’un didactisme provoquant :
il s’impose toutefois comme un système de la pratique du
corps pictural dont l’accumulation déborde entre les pages
le mécanisme initial.
Le travail sur les rapports de signes répétés (par
projection sur des plans parallèles dans l’espace) ont conduit
Martin Miguel à présenter des constructions de parallélépipèdes
semblables alternant trois couleurs arbitraires, chaque couleur différenciant
le volume du volume accolé ; le matériau support variant
d’une pièce à l’autre, la couche de peinture
le couvre, ou l’imprègne, le teint, ou le lisse (bois) ou
se modèle sur ses reliefs (polystyrène expansé)
. L’une des couleurs en jeu est celle du matériau lui-même.
Le matériau devient donc différence d’inscription
dans l’ensemble de la pièce, et se confronte à l’effet
de pigmentation des volumes modifiés. On a ainsi, par exemple,
le plexiglas qui, transparent et incolore, devient le miroir de la couleur
(il prend la couleur), celle qui lui est superposée - posée
sur une face - laquelle apparente sur la face opposée (vue à travers
le matériau) peut ne pas l’être sur la face qu’elle
recouvre, masquée qu’elle serait par une couleur différente
la recouvrant, qu’à son tour elle masque de la transparence
du support... Ici la peinture révèle ses dessous, là elle
montre les reliefs, ailleurs elle pénètre le matériau,
effaçant sa propre épaisseur.
Après avoir montré des lanières de tissus colorées
qu’il montait en (Dé-)tension sur l’épaisseur
du tendeur (châssis traditionnels, cylindres...) . Serge Maccaferri
poursuivait par une série de châssis-périmètres
peints, un petit (carré, rectangle, ou triangle) inscrit dans
un plus grand (ce dernier aux côtés parfois prolongés
s’ouvrant ainsi sur l’extérieur) d’une couleur
différente, liés chacun à une lanière ayant
même couleur et même périmètre, mais dont la
fixation, au châssis correspondant, en deux ou trois points seulement
provoque la chute selon la gravité, en rupture formelle avec le
cadre qu’elle redoublait, inscrivant à son tour fragments
de châssis et de mur dans ses courbes pendantes. En choisissant
de continuer son travail dans du bristol coupé et plié dont
il différencie les deux faces par une pigmentation opposée
(froid/chaud), Maccaferri met plus particulièrement en évidence
certains aspects de ses œuvres antérieures : épaisseurs
superposées (qui apparaissent dans le dévoilement de l’envers,
une couleur chaude éclatant sur la couleur froide, ou le contraire,
toutes formes étant ainsi découpées et se découpant),
redoublement du châssis-cadre, la couleur extérieure venant « encadrer » le
tout, ou encore le repliement de la bande extérieure vient s’inscrire
dans la surface qu’elle bordait avant la découpe, une même
feuille pouvant de la sorte se construire par pliages successifs en trois épaisseurs
distinctes quoique continues, comme dans sa linéarité un
fil qu’on enroule.
Le découpage des tissus et leur remontage par coutures étaient
mis en évidence dans le travail de Vivien Isnard par l ’inscription
pigmentée : une seule couleur laissant, par dès moyens
variables, des traces discontinues sur la toile : netteté de
l’arrêt (coupure-couture), de la trace, les décalages
de fragments de traces concordantes repéraient en retour le travail
produit sur l’état plastique initial, de telle façon
que le repliement d’une face du tissu sur l’autre dans la
couture, le jeu de l’endroit sur l’envers, la réduction
du format intérieur affectant le matériau dans sa structure,
se lisaient aussi dans les transformations de l’inscription pigmentée.
Le passage au travail sur bristol par perforations, et non plus découpes,
introduit des éléments nouveaux : le matériau
travaillé est en synthèse le lieu d’inscription et
le moyen de sa tension. Sous le coup d’épingle qui déchire
l’opacité de la matière se crée un entonnoir
devenu, sur la face opposée, cratère dans lequel se révèle
moins l ’envers repoussé que l’épaisseur extériorisée
de la matière. Toutes les interventions pigmentées vont
mettre en lumière l’opposition, dans les longs (en durée
aussi) et nombreux alignements de perforations, du creusement et du surgissement :
tandis que, là encore, la surface se réduit, le format
n’est pas modifié, le périmètre n’est
pas atteint, le vide se creuse de l’intérieur, la matière
n’est pas prélevée ou repliée mais se tasse
imperceptiblement, et lève en contre-coup. La lecture circule
indifféremment sur l’une ou l’autre face, elle est
inscrite dans l’épaisseur que Vivien Isnard démontre
en imprégnant quelquefois son médium d’huile :
translucide, le bristol est alors, même en image, son épaisseur.
En traçant un certain nombre de fois une même forme dans
un tissu, Max Charvolen, poussant l’expérience à la
limite, aboutit d’abord (1969) à formaliser la pièce
selon la forme employée, dont le dessin déterminait le
bord découpé du tissu. (Mais, si la forme pouvait être
quelconque, il n’est pas indifférent de noter qu’il
s’agissait d’un buste féminin en profil partiel.)
Dans une seconde étape, faire le plein du tissu par l’inscription
revenait à détruire la forme aux limites rectilignes du
tissu. La forme, après avoir produit le format, s’égalait
au format en s’identifiant à lui. En fonction du point de
vue, le problème se posait dans l’espace, le format devenant
une variable : des formats (contre-formes) sont extraits du format
initial et disposés sur un plan différent (par exemple
parallèle) ; on a alors une échelle dans l’espace,
qui subit les effets de la tension de son poids (les horizontales s’incurvent
vers le sol, les verticales se rapprochent vers le bas) tandis que les
rectangles extraits et appliqués au mur ne cadrent plus avec les
vides laissés par eux. Les échelles seront plus tard construites
en bois, compliquées en volumes (définis par leurs seules
arêtes) posés sur (devant) les tissus, « viseurs » à travers
lesquels, la perception de la relation tissu-échelle variant selon
le point de vue, elle éclate le format aux limites du signe en
intégrant de manière indéterminée l’espace
et le mur porteur - de telle sorte que, quelle que soit la visée
opérée, on peut dire qu’elle atteint son but.
L’observation (au Brésil, où il séjourne une
année en 1970-1971) d’une technique employée par
des artisans japonais pour tendre le tissu à peindre intervient
alors : il s’agit de bambous (ou joncs, ou lattes de bois...)
liés en croix et dont les extrémités munies de pointes
de métal sont plantées dans le tissu pendant qu’ils
sont en courbure forcée, déterminant ainsi des arcs dont
les cordes sont comprises (diagonales, mais aussi côtés)
dans le rectangle défini par les quatre points de perforation,
tandis qu’ils jouent dans l’espace le rôle de « viseur ».
On retrouve le contact bois-tissu (du châssis traditionnel) accouplés
par un élément plus dur (semences : ici pointes métalliques),
mais le rapport des forces en jeu est devenu réciproque :
le châssis oppose son inertie, tandis que les bois flexibles employés
par Charvolen sont tendus par le tissu qu’ils tendent. Par ce moyen,
il peut intervenir sur des travaux semblables aux précédents
par la mise en tension d’une zone que sa rigidité particularise
dans le jeu complexe de la (Dé-)tension de l’ensemble, cette
zone de tissu conservant, quelle que soit la position (l’accrochage)
de la pièce, une même tension : plan de lecture de
l’inscription (contre-forme en l’état initial) ou
plan d’inscription de la pigmentation (hors plis), l’état
plastique étant dépendant d’un procédé employé (par
l’artisan d’abord) pour sa qualité provisoire.
Sans nul doute est-ce là, le manque,de place aidant, un compte
rendu bien schématique de travaux complexes, qui pourraient certainement
engager des analyses dont au reste certains termes dans ces lignes employés
provoquent le désir. Il s’agissait dans un premier temps
de ne prétendre à rien d’autre qu’à une
rapide introduction à des problématiques mitoyennes quand
elles ne sont pas franchement interférentes, pensant qu’i1
est sage de laisser les auscultations possibles à des esprits
plus compétents en des domaines dont l’enseignement (la
profession), sinon un minimum de familiarité, n’est peut-être
pas à la portée du praticien du corps pictural.
Nice, avril 1973.
Catalogue Biennale de Paris 1973 |